Pourquoi Sarkozy a été élu, par Tahar Ben Jelloun

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Ce soir Nicolas Sarkozy deviendra président de la République française. Cette certitude n’est pas un pari, encore moins un désir. C’est un fait préparé depuis longtemps. Cela fait des années que la France s’est mise sur le chemin de l’ambition dévorante de ce fils d’immigrés hongrois qui, à vingt ans avait nourri l’ambition de devenir un jour président de ce pays.

Cela fait longtemps que Nicolas Sarkozy a tracé cette voie et a travaillé en profondeur et dans tous les sens pour atteindre ce but. Le terrain a été balisé, tracé. Ce n’était pas facile ni simple, mais cet homme complexé par sa petite taille a su surmonter tous les obstacles, a su trahir ses mentors et amis, a su écraser ses ennemis, a su faire feu de tous bois avec à la base une idée fixe : arriver par tous les moyens y compris les plus détestables. Pour cela il avait besoin d’une force intérieure, d’une volonté inébranlable, d’une intelligence qui ne s’encombre d’aucun principe si ce n’est celui de sauver les apparences.

Celui qui occupera la fonction de chef d’Etat n’est pas parvenu à ce résultat par hasard ni par accident de l’histoire comme ce fut le cas de Jacques Chirac en 2002, élu à plus de 80% des voix pour faire barrière à Jean-Marie Le Pen, président du Front national. S’il est arrivé c’est parce qu’une partie de la France a voulu en finir avec la culpabilité historique, avec les traditions généreuses et solidaires de cette nation, ce qui a eu pour conséquence la banalisation du discours raciste, discours parfois enrobé de mots qui font passer la pilule, en finir avec une France terre d’asile et soutien aux peuples en difficulté, terre d’accueil et de célébration des droits de l’homme. La France solidaire des grandes causes humanitaires a changé. On a eu beaucoup de mal à intéresser les Français à la tragédie du Darfour et Jacques Chirac a reçu normalement le chef d’Etat soudanais au sommet de la francophonie.

On a petit à petit vu et entendu des intellectuels réclamer de la France de ne plus se sentir responsable de son passé colonial et de ses conséquences, de ne plus perdre son énergie dans une coopération avec des pays du Sud et surtout de se tourner vers l’Europe du Nord et de l’Est, vers l’Amérique et son modèle politique. On a vu une France considérer l’immigration comme une plaie, un fardeau sans lui reconnaître son apport positif à l’économie du pays ni à sa culture, à considérer les enfants issus de cette population comme des citoyens de deuxième zone, des Français non reconnus et traités comme des bâtards de la République, comme s’ils étaient des étrangers sans papiers, sans droits. De là sont nées des propositions de loi pour « reconnaître les bienfaits de la colonisation », pour oublier la guerre d’Algérie, pour rendre difficile pour ne pas dire impossible le principe du regroupement familial, pour verrouiller les frontières de ce pays et considérer l’islam comme obstacle majeur à toute tentative d’intégration. La révolte des jeunes dans les banlieues l’automne 2005 a été considérée comme « une manifestation ethnique » alors que c’était celle d’une jeunesse française que la France a ignorée et cantonnée dans des conditions de vie injustes et que Sarkozy a insultée en utilisant des mots vulgaires et humiliants ( le chômage atteint 40% dans ces quartiers).

Ces mêmes intellectuels dit « néo-conservateurs » ont fait circuler des pétitions contre « le racisme anti-blanc », ont soutenu l’intervention américaine en Irak ainsi que la politique israélienne même quand elle mène l’Etat hébreu à envahir un petit pays comme le Liban et détruire ses infrastructures sous prétexte de lutter contre le terrorisme du Hizbollah.

Ce sont ces mêmes intellectuels qui, très tôt, ont apporté leur soutien au projet de Sarkozy et l’ont encouragé dans ses choix sécuritaires à l’intérieur et pro-américain à l’extérieur. Cela a autorisé Nicolas Sarkozy à aller chercher les voix des électeurs de l’extrême droite, à faire campagne en puisant dans le programme du Front national, à proposer un ministère de « l’immigration et de l’identité nationale », à clamer partout sa volonté de s’opposer fermement à l’entrée de la Turquie dans l’Europe et enfin à en finir avec l’héritage de la révolte de mai 1968. C’est un retour en arrière qui flatte une médiocrité de penser, une sorte de simplisme populiste d’un niveau bas.
Cet homme qui ne s’intéresse qu’à lui-même a su choisir ses amis : il est du côté des puissances industrielles et médiatiques dans la mesure où ces grands patrons sont aussi des propriétaires de groupes de journaux, de radios et de chaînes de télévision.

Enfin, celui qui a érigé la trahison en pratique de la réal-politique a été rejoint durant sa campagne par des personnalités qui ont trahi leur camp traditionnel. Le cas le plus choquant est celui d’Eric Besson, l’économiste de Ségolène Royal qui a rompu brutalement avec la candidate socialiste pour tomber dans les bras de Sarkozy et surtout de faire campagne avec lui en révélant les secrets de son travail précédent. Avant lui, il y a eu l’historien Max Gallo, ancien ministre de François Mitterrand, l’acteur Roger Hanin, beau frère et ami de Mitterrand, André Glugsman professeur de philosophie et bien d’autres qui voient en Sarkozy l’homme qui les venge d’un humanisme qui a oublié la fameuse « préférence nationale ». Il a été chargé de les représenter et d’incarner cette France qui continue de penser que l’Occident n’a pas de compte à rendre à son passé colonial notamment.

Voilà comment la France dans sa majorité vient d’offrir cinq années à un homme et à son équipe décidés à mener ce pays vers un libéralisme décomplexé, avec une pensée où l’égoïsme, les valeurs marchandes et la trahison ne sont pas choses honteuses.
Nicolas Sarkozy entre dans le club des chefs d’Etat du cynisme, club où il retrouve ses amis, ses semblables, l’espagnol José Maria Aznar, l’italien Silvio Berlusconi, et surtout G.W.Bush.
Il reste l’autre France. Souhaitons-lui bon courage.

Tahar Ben Jelloun.

 

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