Contribution à un socialisme du XXIe siècle - Rénover, c'est appréhender les phénomènes émergents 4

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De l’inculture en général...
 
Je crains, avec Jonathan Swift, un appauvrissement généralisé du vocabulaire, lui-même entraînant celui de la culture et évidemment de l’esprit. Bien plus que l’école accusée de tous les maux avec facilité, la télévision et ceux qui l’occupent, en font commerce, ceux-là sont aujourd’hui les vrais et seuls fossoyeurs de la langue. Non pas seulement de la langue « moisie » défendue à coups d’imparfaits du subjonctif par des Académiciens ou quelque brighelliste obtu, mais aussi de la langue « neuve », faite des néologismes propres à la rendre tous les jours vivante.
 
Car c’est la quantité des mots employés qui peu à peu se tarit. Chacun, d’émissions en émissions, de plateaux en plateaux, sur les quatre chaînes les plus regardées et écoutées (TF1/France 2/Canal Plus/M6) utilise désormais un vocabulaire basique auto célébrant sa propre hégémonie. Et peu à peu s’installe l’idée que ce patois informe deviendrait la norme. Ecoutez, même par un effort suprême, les trois émissions qui ont « fait » l’été et qui sont les plus écoutées : Koh Lanta, Secret Story et L’Ile de la tentation. Mis à part le fait que ces spectacles fassent la promotion du mensonge et de l’hypocrisie, elles sont aussi la preuve terrible de la prophétie de Swift: la culture remplacée, écrasée par la tyrannie des choses, des comptables et des marchands.
 
Hélas, la maladie gagne aussi nos politiques. Quand vient à disparaître une personnalité, on loue d'abord « l’homme (ou la femme) de culture », « l’ami des livres », « l’humaniste érudit ». Comme si tout cela était désormais devenu l’exception alors que ce devrait être la règle. La culture en politique, c’est un minimum de rapport au temps et à l’histoire. Or aujourd’hui, il semblerait qu’aimer les livres au point d’en lire quelques uns relevât d’une admirable mais archaïque complicité avec le passé. Mais force est de contaster que la nouvelle génération politique est une enfant de la télévision, et non plus de la culture écrite. D’où cette impression de pragmatisme langagier un peu court, au travers d’analyses souvent bâclées, voulues aussi par les formats des émissions, souvent courtes. Il faut aller vite, très vite, ne surtout pas s’attarder. Rendez-vous compte... On pourrait réfléchir ! Voilà comment, insidieusement, s’impose le « vide démocratique ».
 
Ce vide démocratique annonce le pire: l’installation d’une gestion rudimentaire de la réalité, gouvernée par les graphiques, les courbes, les taux d’écoute ou de change, une barbarie sans langage qui éconduirait aux frontières du privé les mots et les idées qui allaient avec. Un éthologue affirmait récemment, preuves à l’appui, qu’un chimpanzé grâce au langage des sourds-muets, parvient à mémoriser 200 à 300 mots...
 
Allez, encore un effort... et nous ne tarderons pas à soutenir des conversations avec nos cousins primates...
 
...et de la culture en particulier
 
Quant au Président « omnitout », il n’est pas en reste. Christine Albanel, Ministre de la Culture, a du relire trois fois la lettre de mission que lui a fait parvenir Monsieur le Président début août. Laissons de coté l’éloge d’André Malraux et de Jack Lang; la volonté de rompre avec le passé est ailleurs :
- « La culture devra être nationale » affirme Nicolas Sarkozy. Et le Président de poursuivre: « L’enseignement artistique, obligatoire à l’école, devra permettre aux jeunes de se sentir membre d’une même nation puisqu’ils étudieront le patrimoine littéraire et artistique de notre pays ». Sans commentaires...
- La création verra ses conditions de financement revues : « Il faudra veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public ». Afin de contrôler tout cela, des commissions d’attribution associant, je cite, « experts, artistes et représentants du public ». (Tiens, cela ressemble beaucoup à un jury citoyen...) seront créées. Non seulement tout cela devra se faire sans aucun crédit nouveau, mais si l’on ne finance que les créations répondant aux attentes du public, les émissions de télé réalité ont de très beaux jours devant elles !
- Justement, Monsieur Sarkozy en digne héritier d’Alain Peyrefitte, demande à France Télévision d’afficher, je cite toujours, « une plus grande différence avec le privé (...) fondée sur des programmes populaires de qualité aux heures de grande écoute ». Mais une fois de plus, Christine Albanel ne dispose d’aucun financement et Patrick de Carolis, PDG de France Télévision, risque de voir sa Ministre de tutelle lui refuser la seconde coupure publicitaire qu’il réclame depuis son arrivée à la tête du groupe de service public. Et le même Patrick de Carolis pourra s’arracher les cheveux en lisant la suite : « Le gouvernement devra favoriser l’émergence de grands groupes de communication audiovisuelle français ». Et pour cela, revoir les lois anti concentration dans ce domaine. On le voit, l’ambition culturelle est de peu de poids face aux contraintes financières.
- Enfin, Nicolas Sarkozy, semble déjà soucieux de sa postérité. Notre Grand Timonier rêve de son grand chantier: « Un ambitieux Mémorial de la Résistance et de la France Libre, (...), un monument qui serait lui-même un geste architectural (Sic) ». Pourquoi pas...
 
Communication: le message photographique ou la «Parimatchisation» de la vie politique
 
« La photographie de presse est un message » Roland Barthes
 
Paris-Match et Nicolas Sarkozy, comme bien d’autres avant eux, l’ont compris et porté à un degré de quasi perfection. Mais qu’est-ce qu’une photographie politique ?
 
L’ensemble du message photographique est constitué:
- d’une source émettrice : c’est la rédaction du journal, le ou les photographes, le groupe de techniciens qui choisissent, composent, traitent la photo et enfin le groupe chargé de titrer, légender et commenter la photographie.
- d’un milieu récepteur : c’est le public qui lit le journal et voit la photographie.
- d’un canal de transmission : c’est le journal lui-même, ou plus exactement un ensemble de messages concurrents dont la photographie est le centre mais dont les entours sont constitués par le texte, le titre, la légende, la mise en page et, de manière très «informante», le nom même du journal car ce nom constitue un savoir qui infléchit la lecture de la photographie, la même photographie n’ayant pas le même sens en passant de Paris-Match à l’Humanité.
 
On le voit, la photographie n’est pas un produit neutre. C’est un objet doté d’une autonomie structurelle dont la totalité de l’information est portée par deux structures différentes, ces deux structures étant concurrentes et si hétérogènes qu’elles ne peuvent pas se mélanger : le texte d’une part, l’image de l’autre. Et l’analyse porte toujours sur chacune des structures séparées. Ce n’est que lorsqu’on aura épuisé l’étude de chaque structure que l’on comprendra la manière dont l’une complète l’autre.
 
Les procédés de connotation
 
La connotation d’une photographie, c’est à dire plusieurs autres lectures possibles du même document, s’élabore aux différents niveaux de production de cette photographie :
- choix du sujet
- traitement technique
- cadrage
- mise en page
- etc.
 
Ces procédés ne font pas partie de la structure photographique à proprement parler. Ils lui confèrent d'autres possibilités de lecture et transforment le message initial, transformant le réel. J’en distinguerai quatre : le truquage, la pose, les objets, la photogénie.
 
1- Le truquage : L’histoire est célèbre mais signifiante. En 1951, le Sénateur américain Millard Tydings perdait son siège à la suite de la diffusion d’une photographie le montrant, dans toute la presse des Etats-Unis, en grande conversation avec le leader communiste Earl Browder. La photographie était truquée, constituée par le rapprochement artificiel de deux visages. La propagande soviétique stalinienne faisait quant à elle très souvent disparaître des visages d’hommes ou de femmes qui avaient cessé de plaire au dictateur. L’« intérêt » du truquage est d’ajouter un sens sans lequel le cliché n’atteindra pas le but choisi par telle rédaction, tel patron de presse. Aucun truquage, aussi futile soit-il, n’est innocent. En effet, il influence la perception du lecteur, fausse son jugement, en fait le complice involontaire d’une manipulation et dénature le travail initial du photographe. En cela, et surtout concernant la photographie politique, le truquage est un mensonge car, non seulement il modifie les codes de lecture, mais il transforme l’Histoire.
 
2- La pose : Celles et ceux de ma génération se souviennent de cette photographie de John Kennedy pendant sa campagne électorale, les yeux levés au ciel et les mains jointes, de profil. C’est ici la pose, saisie au vol ou préparée, nous ne le saurons jamais, qui connote le cliché: juvénilité, spritualité, pureté. C’est une « grammaire iconographique » fort connue qui trouve ses matériaux dans la peinture, la sculpture, le théâtre, les associations d’idées, les métaphores courantes, etc. Le message, dans le cas de la photographie du futur Président des Etats-Unis n’est pas la pose, mais « Kennedy priant ». De la même manière, les images de Nicolas Sarkozy posant flanqué de deux Ministres immobiles et muets lors d’une interview sur le perron de l’Elysée ne sont pas signifiantes en tant que pose, mais par le message volontairement transmis: Nicolas Sarkozy décide seul, les Ministres étant ici des faire-valoir. (Les exemples se multiplient à l’envie concernant le couple présidentiel). En cela, la pose oriente l’Histoire.
 
3- Les objets : Les photographies officielles d’hommes d’Etat ne sont jamais avares d’objets. Concernant le Président de la République, il en existe une collection récurrente :
- à l’extérieur : lunettes de soleil Ray-Ban, téléphone portable (Nokia)
- à l’intérieur : bureau où se disputent boites de cigares, stylo (Mont-Blanc), téléphone, photographie familiale, etc.
 
Et toujours en arrière-plan du Président, une bibliothèque. L’intérêt des objets est qu’ils sont toujours soit inducteurs d’idées: bibliothèque = intellectuel par exemple, soit véritables symboles: la photographie célèbre dite de « la chambre à gaz » de Chessmann renvoyant à la porte funèbre des mythologies anciennes.
 
Chaque objet d’une photo, disposé parfois volontairement de manière artificielle, forme un ensemble qui a sa propre syntaxe, sa propre grammaire, parfois ses propres fautes d’orthographe :
- une plume d’oie sur une partition intitulée « Petite Musique de nuit » et voilà Mozart
- une fenêtre ouverte sur des toits de tuiles, un paysage de vignes; devant la fenêtre, un album de photographies, une loupe, un vase de fleurs sagement disposées. Nous sommes donc à la campagne, au sud de la Loire (vignobles et tuiles), dans une demeure bourgeoise (les fleurs sur la table), dont l’hôte âgé (la loupe) revit ses souvenirs (l’album de photographies) et c’est François Mauriac à Malagar. Les unités/objets insignifiants se trouvent explicités par le titre de l’article et l'article lui-même. Les objets alors ne possèdent aucune force, mais assurément un sens. En cela, les objets décorent l’Histoire.
 
4- La photogénie : La photographie, Edgar Morin l’a dit il y a déjà fort longtemps dans « Le Cinéma ou l’Homme Imaginaire », est une « structure informative ». Dans la photogénie, le message est dans l’embellissement de l’image, sublimée par les techniques d’éclairage, d'impression, de tirage, par le travail informatique aujourd’hui à la portée d’un enfant. La photographie politique n’est en aucun cas, jamais, un art. Elle EST politique et se veut comme telle. Elle a un sens; elle indique même ce sens par les techniques de la photogénie, effets esthétiques devenant immédiatement des effets signifiants. En cela, la photogénie habille (travestit ?) l’Histoire.

Publié dans Rénovation du PS

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