Jean-Pierre Chevènement commente les dernières élections présidentielles - 4

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IV – Le PS doit résoudre son problème avec la nation
 
Le parti socialiste a un problème avec la nation qui remonte loin dans l'histoire. Seul Jean Jaurès avait compris avant 1914 que le parti socialiste devait s'identifier à la France. Ni Léon Blum, ni Guy Mollet, ni Lionel Jospin ne l'ont vraiment compris. Tous mettaient en priorité « la gauche » ou « le parti ». Même François Mitterrand qui avait toutes les qualités pour opérer cette conversion républicaine du parti socialiste a préféré en 1983 la voie, plus facile, d'une conversion libérale aux couleurs de l'Europe. « La France est notre patrie, et l'Europe notre avenir » pouvait être lu : « La France est notre passé. L'Europe sera notre patrie ».
 
On peut se demander si le mouvement socialiste n'est pas frappé d'une faiblesse congénitale dans le rapport qu'il entretient avec la nation. A la différence des partis de droite qui ont à la fois recyclé et dévoyé l'idée nationale à la fin du XIXe siècle, et à la différence aussi des radicaux, qui ont su maintenir leur ancrage dans la Révolution française (la figure de Clemenceau est emblématique à cet égard), les socialistes se sont définis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle sur le terreau de l'internationalisme souvent confondu – sauf Jaurès – avec la simple opposition au chauvinisme et au nationalisme de la plupart des partis de droite de l'époque.
 
Il serait évidemment absurde de faire aux socialistes le procès de manque de patriotisme. Ce serait de surcroît tout à fait injuste Il s'agit plutôt d'un retard conceptuel, d'un « anti-nationisme », d'une sous-estimation, en fait assez impressionnante, du fait national dans leur théorie et dans leur pratique. De sorte que les socialistes se sont trouvés régulièrement en porte-à-faux : en 1914 devant la guerre et l'invasion allemande ; dans les années 1930 face à la montée du fascisme où il faudra attendre 1938 pour voir Blum appeler à un « front français contre le nazisme ». De tout temps, par rapport aux problèmes de la colonisation et de la décolonisation et aujourd'hui du « nouvel ordre mondial », par sous-estimation du fait national chez les peuples du Sud. Enfin, aujourd'hui, les socialistes répugnent à analyser la globalisation dans ses aspects politiques (le dollar comme monnaie mondiale ne se soutient que par la permanente fuite en avant de l'Hyperpuissance) et n'y opposent que des réponses toutes faites : ainsi « l'Europe » comme si celle-ci pouvait être une solution par elle-même au déséquilibre du monde, en dehors d'un travail préalable de conviction quant à la nécessité de faire surgir une « Europe européenne ».
 
La conversion libérale de 1983 renvoie ainsi à une incapacité plus profonde à définir un projet national dans lequel le pays tout entier pourrait se reconnaître. Les munitions employées il y a vingt ans par François Mitterrand (correction « sociale » de l'économie libéralisée, « tout préventif » en matière de sécurité, antiracisme, et surtout européisme militant et « ringardisation » de la nation) sont aujourd'hui épuisées. On ne peut pas gagner une guerre avec les armes de la précédente.
 
Le parti socialiste a trop longtemps tardé à effectuer les autocritiques nécessaires. Celles-ci, il est vrai, sont difficiles parce qu'elles obligeraient le parti socialiste à comprendre la vertu des synthèses que j'appelle jauréssiennes et qui sont en fait « républicaines », et à les faire réellement siennes.
 
Conclusion :
 
Au total donc, selon moi, c'est le politique en dernier ressort qui a été déterminant dans les trois élections présidentielles. Sondages et médias pèsent lourd. La tâche des politiques est infiniment difficile. Ils doivent se mouvoir dans un milieu qui n'est pas naturellement le leur, quand ils veulent dépasser l'instant et inscrire leur action dans un projet à long terme.
 
Rien n'est plus nécessaire pour remonter la pente du système que de repenser le service public de l'audiovisuel. Et rien ne serait plus salubre que l'adoption de règles déontologiques en matière de sondages.
 
Mais l'erreur serait, à mon sens, de sous-estimer l'intelligence des citoyens. Même si le conditionnement médiatico-sondagier est puissant, l'appel à l'intelligence de l'intérêt général n'est pas vain. Une minorité de citoyens conscients peut faire la différence.
 
Quand le candidat de la gauche n'apporte pas cette dimension de projet, et ce fut le cas en 1995, 2002 et 2007, il y a quelques centaines de milliers voire quelques petits millions de citoyens qui préfèrent rallier l'autre camp ou se réfugier dans l'abstention ou le vote protestataire.
 
La gauche doit toujours apporter quelque chose de plus. Elle doit revenir à l'esprit républicain qui est celui des Lumières. Elle ne peut pas tout attendre de la faiblesse de l'adversaire et d'une propagande sommaire voire à l'occasion démagogique vis-à-vis des couches sociales qui sont, mécaniquement, censées la soutenir (ouvriers et employés qui ont déserté le camp de la gauche en 2002 et ne l'ont rejoint qu'à moitié en 2007). Il est temps que la gauche prenne la mesure de ses retards et de ses carences pour faire une analyse solide des réalités du monde globalisé et proposer aux citoyens un projet qui fasse réellement appel à leur intelligence et à leur civisme.
 
 
1) Editions du Croquant
2) Voir tableau ci-dessous au format PDF
 
Vendredi 31 Août 2007
Jean-Pierre Chevènement
 
Sondages préélectoraux et élections présidentielles en France : 1995-2002-2007
 
 
T -6 mois
T -3 mois
T -1 mois
Dernier sondage
Résultats 1er tour
1995
Lionel Jospin
24 %
21 %
 20,5 %
 23,3 %
 
Jacques Chirac
15 %
 19 %
 26 %
 24 %
 20,8 %
Edouard Balladur
 25 %
 23,5 %
 18 %
 16,5 %
 18,6 %
Jean-Marie Le Pen
 8 %
 11 %
 13 %
 14 %
 15 %
2002
Jacques Chirac
 27 %
 26 %
 23 %
 19,5 %
 19,9 %
Jean-Marie Le Pen
 9 %
 9 %
 10 %
 12,5 %
 16,9 %
Lionel Jospin
 22 %
 22,5 %
 21 %
 18 %
 16,2 %
François Bayrou
4,5 %
 3 %
 4 %
 6 %
 6,8 %
Jean-Pierre Chevènement
 8 %
 11 %
 7,5 %
 6,5 %
 5,3 %
2007
Nicolas Sarkozy
 36 %
 35 %
 28 %
 30 %
 31 %
Ségolène Royal
 34 %
 31 %
 26,5 %
 25 %
 25,4 %
François Bayrou
 7 %
 9 %
 21,5 %
 18 %
 18,7 %
Jean-Marie Le Pen
 11 %
 13 %
 11 %
 13 %
 10,6 %
 
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