La diplomatie du Flore
Par Pierre MOSCOVICI (source : Facebook)
La visite de Kadhafi suscite une immense controverse, plus forte à vrai dire que je le pensais moi-même. Elle provoque un grand débat, que je crois sain, sur la nature de la diplomatie française. La droite et Nicolas Sarkozy sont plus qu’embarrassés. L’UMP a déclenché un vaste tir d’artillerie contre les « donneurs de leçons », ceux qui ont les mains pures… parce qu’ils n’ont pas de mains. Elle met en avant la réintégration de la Libye dans la communauté internationale, la nécessité du dialogue pour faire évoluer ce pays, la logique commerciale – la floraison de contrats, à terme pour dix milliards d’euros, est impressionnante. Quant à Nicolas Sarkozy, livide, manifestement furieux contre sa sympathique et irresponsable secrétaire d’État aux droits de l’homme, il serre les dents et attaque la diplomatie bien pensante, la diplomatie du « Café de Flore ». Ces arguments, inégaux méritent une petite réponse.
Précisons, d’abord, ce qu’est le café de Flore à ceux qui ne le connaîtraient pas. Ce café de Saint-Germain-des-Prés fut, dans les années 50, un haut lieu de la vie intellectuelle française, fréquenté par les existentialistes, par Sartre et Simone de Beauvoir. Il demeure un rendez-vous prisé où j’avoue aimer, lorsque je suis parisien, boire un verre, et où l’on croise souvent Bernard-Henri Lévy. J’ai pensé que lui et moi étions l’objet de cette puissante attaque du Chef de l’État. Passons sur les ripostes faciles, très parisiennes justement. Je n’ai pour ma part jamais été maire de Neuilly, je suis, et j’en suis fier, député d’une des circonscriptions les plus ouvrières de France, dans le pays de Montbéliard, j’ai la confiance, durement arrachée de cet électorat populaire, et cela compte énormément pour moi. De la part d’un Président qui a fêté son élection par une bamboula au Fouquet’s avec les hommes les plus riches de France, entouré de people, cette mise en cause est rigolote. À tout prendre, même si je n’en suis pas, je préfère la gauche caviar à la droite bling-bling, celle qui prend ses vacances à Malte sur des yachts de milliardaire.
Mais trêve de plaisanterie – même s’il n’est pas interdit de sourire – le fond de l’affaire est autre. Quel équilibre pour notre diplomatie entre les principes et les réalités ? Telle est la question. Je ne me définis pas comme un pur idéaliste. Je connais les contraintes internationales, l’injustice du monde, les intérêts de la France. Une bonne politique étrangère doit en tenir compte. En ce sens, le terme « real politik » est un truisme, une tautologie. C’est pourquoi je crois, en effet, qu’il est légitime d’entretenir avec le colonel Kadhafi et la Libye des relations politiques et diplomatiques, de chercher à y être présent, dès lors que ce pays a souhaité réintégrer la communauté internationale, indemnisé les victimes des attentats terroristes dont il est responsable, et qu’il n’est plus, depuis 2004, sous embargo de l’Union européenne. Ce que je réprouve, c’est le blanc seing donné à ce régime, anti-démocratique, négateur des droits de l’homme, par une visite à laquelle Nicolas Sarkozy a souhaité donner un lustre particulier. Ce n’est plus réaliste mais, je l’ai dit, hyperréaliste, cynique. La France reste le pays des droits de l’homme, le berceau de la République, elle conserve un message universel, fondé sur des valeurs. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas y renoncer, au nom d’une diplomatie de complaisance, ou de connivence, avec les dictateurs de la planète. Il faut parfois dîner avec le diable, oui, mais avec une longue cuillère, et sans lui servir la soupe.
Nicolas Sarkozy avait compris cela – il le disait en tout cas – pendant sa campagne présidentielle. Il s’en éloigne aujourd’hui. Existe-t-il une alternative ? Je persiste à croire en une diplomatie plus éthique, soucieuse des droits de l’homme ; plus démocratique, sortant du domaine réservé pour être confrontée au débat public, au Parlement, à la société civile, aux ONG ; plus multilatérale, refusant l’égoïsme des nations pour privilégier la régulation à travers les organisations internationales ; plus tournée vers le Sud, solidaire avec l’Afrique, sans cautionner pour autant les régimes les plus contestables de ce continent ; plus européenne, enfin, acceptant que l’Union soit pour la France un multiplicateur d’influence et non une contrainte extérieure subie avec difficulté. Cette politique, à la fois consciente du réel et aspirant à l’idéal, je l’ai décrite dans un petit livre paru à la fondation Jean-Jaurès en 2006, « la France dans un monde dangereux ». Il existe, sur la planète un « désir de France », je le crois, mais pas de la France qui honore Kadhafi et ne s’honore pas. C’est à ce désir que nous devons répondre, et non lui tourner le dos.
Si c’est là cette « diplomatie du Flore » dont parle Sarkozy, j’assume. Mais pour moi, c’est autre chose, la suite de l’internationalisme socialiste, celui de Jaurès et de Blum. Oui, j’assume, j’en suis même fier.)
La visite de Kadhafi suscite une immense controverse, plus forte à vrai dire que je le pensais moi-même. Elle provoque un grand débat, que je crois sain, sur la nature de la diplomatie française. La droite et Nicolas Sarkozy sont plus qu’embarrassés. L’UMP a déclenché un vaste tir d’artillerie contre les « donneurs de leçons », ceux qui ont les mains pures… parce qu’ils n’ont pas de mains. Elle met en avant la réintégration de la Libye dans la communauté internationale, la nécessité du dialogue pour faire évoluer ce pays, la logique commerciale – la floraison de contrats, à terme pour dix milliards d’euros, est impressionnante. Quant à Nicolas Sarkozy, livide, manifestement furieux contre sa sympathique et irresponsable secrétaire d’État aux droits de l’homme, il serre les dents et attaque la diplomatie bien pensante, la diplomatie du « Café de Flore ». Ces arguments, inégaux méritent une petite réponse.
Précisons, d’abord, ce qu’est le café de Flore à ceux qui ne le connaîtraient pas. Ce café de Saint-Germain-des-Prés fut, dans les années 50, un haut lieu de la vie intellectuelle française, fréquenté par les existentialistes, par Sartre et Simone de Beauvoir. Il demeure un rendez-vous prisé où j’avoue aimer, lorsque je suis parisien, boire un verre, et où l’on croise souvent Bernard-Henri Lévy. J’ai pensé que lui et moi étions l’objet de cette puissante attaque du Chef de l’État. Passons sur les ripostes faciles, très parisiennes justement. Je n’ai pour ma part jamais été maire de Neuilly, je suis, et j’en suis fier, député d’une des circonscriptions les plus ouvrières de France, dans le pays de Montbéliard, j’ai la confiance, durement arrachée de cet électorat populaire, et cela compte énormément pour moi. De la part d’un Président qui a fêté son élection par une bamboula au Fouquet’s avec les hommes les plus riches de France, entouré de people, cette mise en cause est rigolote. À tout prendre, même si je n’en suis pas, je préfère la gauche caviar à la droite bling-bling, celle qui prend ses vacances à Malte sur des yachts de milliardaire.
Mais trêve de plaisanterie – même s’il n’est pas interdit de sourire – le fond de l’affaire est autre. Quel équilibre pour notre diplomatie entre les principes et les réalités ? Telle est la question. Je ne me définis pas comme un pur idéaliste. Je connais les contraintes internationales, l’injustice du monde, les intérêts de la France. Une bonne politique étrangère doit en tenir compte. En ce sens, le terme « real politik » est un truisme, une tautologie. C’est pourquoi je crois, en effet, qu’il est légitime d’entretenir avec le colonel Kadhafi et la Libye des relations politiques et diplomatiques, de chercher à y être présent, dès lors que ce pays a souhaité réintégrer la communauté internationale, indemnisé les victimes des attentats terroristes dont il est responsable, et qu’il n’est plus, depuis 2004, sous embargo de l’Union européenne. Ce que je réprouve, c’est le blanc seing donné à ce régime, anti-démocratique, négateur des droits de l’homme, par une visite à laquelle Nicolas Sarkozy a souhaité donner un lustre particulier. Ce n’est plus réaliste mais, je l’ai dit, hyperréaliste, cynique. La France reste le pays des droits de l’homme, le berceau de la République, elle conserve un message universel, fondé sur des valeurs. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas y renoncer, au nom d’une diplomatie de complaisance, ou de connivence, avec les dictateurs de la planète. Il faut parfois dîner avec le diable, oui, mais avec une longue cuillère, et sans lui servir la soupe.
Nicolas Sarkozy avait compris cela – il le disait en tout cas – pendant sa campagne présidentielle. Il s’en éloigne aujourd’hui. Existe-t-il une alternative ? Je persiste à croire en une diplomatie plus éthique, soucieuse des droits de l’homme ; plus démocratique, sortant du domaine réservé pour être confrontée au débat public, au Parlement, à la société civile, aux ONG ; plus multilatérale, refusant l’égoïsme des nations pour privilégier la régulation à travers les organisations internationales ; plus tournée vers le Sud, solidaire avec l’Afrique, sans cautionner pour autant les régimes les plus contestables de ce continent ; plus européenne, enfin, acceptant que l’Union soit pour la France un multiplicateur d’influence et non une contrainte extérieure subie avec difficulté. Cette politique, à la fois consciente du réel et aspirant à l’idéal, je l’ai décrite dans un petit livre paru à la fondation Jean-Jaurès en 2006, « la France dans un monde dangereux ». Il existe, sur la planète un « désir de France », je le crois, mais pas de la France qui honore Kadhafi et ne s’honore pas. C’est à ce désir que nous devons répondre, et non lui tourner le dos.
Si c’est là cette « diplomatie du Flore » dont parle Sarkozy, j’assume. Mais pour moi, c’est autre chose, la suite de l’internationalisme socialiste, celui de Jaurès et de Blum. Oui, j’assume, j’en suis même fier.