Sarkozy désarme l'Etat contre les fraudes fiscales
L‘Allemagne a lancé une vaste offensive contre la fraude fiscale. La France traîne les pieds. Et pour cause, puisque le président de la République a rogné les moyens répressifs de l'administration des impôts…
La France va traquer les fraudeurs du fisc. Enfin, c'est ce qu'elle dit. Car Sarkozy a désarmé l'administration en matière de lutte contre cette forme de délinquance extrêmement dangereuse pour les finances du pays. Il a fallu en effet que les Allemands révèlent un énorme scandale et l'affaire des fuites bancaires vers le Liechtenstein, douillet et princier paradis fiscal (identifié comme tel par l'OCDE), niché au creux des Alpes, pour que le gouvernement français daigne admettre que des Français sont aussi concernés. « Plusieurs centaines » indiquait, le 26 février, et sans s'étendre, Eric Woerth, ministre des comptes publics et du budget, en charge de la répression fiscale. La mauvaise grâce est manifeste.
Pour avoir tenté, la veille, d'obtenir les mêmes informations en téléphonant au cabinet du ministre, je m'étais heurté à un mur :
« Allô ? Ici Marianne, chère Madame, pouvez-vous me dire si les autorités allemandes ont transmis au gouvernement français des noms de résidents français figurant sur le listing des investisseurs de la banque LGT du Lichtenstein »
- « Nous sommes en possession de renseignements depuis plusieurs semaines»
- « Combien de personnes sont potentiellement concernées ? »
- « C'est couvert par le secret fiscal, Monsieur je ne peux pas vous le dire ! »
- « Je ne vous demande pas leurs noms, mais la quantité. Un tel chiffre, ce n'est pas secret défense ? »
- « Non, ce n'est pas secret-défense, c'est secret fiscal. »
On s'est arrêté là.
La délinquance en col blanc, dernière des priorités...
Le 26 février, la direction générale des impôts publiait aussi un communiqué de la plus belle langue de bois annonçant qu'elle « a reçu des informations concernant des personnes qui seraient détentrices de comptes bancaires susceptibles d'être utilisés à des fins d'évasion fiscale au Liechtenstein. Elle procède actuellement à un examen de ces informations. » D'où le citoyen pouvait se dire que l'administration va lentement...
Sauf que le communiqué se concluait sur les deux phrases suivantes :
« Ces informations n'ont en aucun cas été payées, sous quelque forme que ce soit. La direction générale des Impôts ne rémunère en effet aucune information, quelle que soit leur nature. »
En France, on traque donc les petits et gros délinquants, voire des criminels de droit commun, y compris en rétribuant les informateurs comme on a pu le voir dans l'affaire de Villiers-le-Bel. Mais lorsqu'il s'agit d'identifier des délinquants fiscaux, en col blanc, aux mains raffinées et en général aux comptes en banques bien remplis, on prend des pincettes. Orientation confirmée lors de l'entretien avec le cabinet, où l'on se réjouit d'avoir obtenu les renseignements des Allemands sans bourse délier.
On en conclut donc que les fraudeurs au fisc, peuvent dormir tranquille : à moins que les Allemands ne persistent à donner des tuyaux gratuitement (Berlin a payé 5 millions d'euros le listing de la banque LGB), ce ne sont pas les gabelous français qui vont venir espionner les paradis fiscaux.
Une sanction nécessaire, ne serait-ce que pour la cohésion
Mais au fait, qui a décidé d'un tel laxisme en matière de lutte contre la délinquance fiscale ? Renseignement prix, c'est … Nicolas Sarkozy. En 2004, alors ministre de l'Economie, des finances et du budget, il avait décidé de supprimer la rétribution des « aviseurs », (terme de la DGI pour « indics »). Orientation réaffirmée lors de sa visite en août 2007 à l'Université du Medef, lorsqu'il fustigeait les « lettres anonymes », avec un drôle de parallèle avec la période de l'Occupation… Selon le Syndicat national unifié des impôts, toujours en 2004, Nicolas Sarkozy a édicté une trentaine de règles tendant à « protéger » les contribuables, en fait à compliquer les contrôles, et à réduire les amendes des entreprises.
Or les dégâts issus de la fraude fiscale sont considérables. On estime qu'elle représente une perte de recettes de 2 à 2,5% du PIB au niveau européen. Soit pour la France 35 à 50 milliards d'euros par an, l'équivalent du déficit du budget. Autant dire qu'avec une dette de 65 % du PIB, aucun gouvernement ne peut négliger son devoir de répression. Retrouver les délinquants, les punir de façon exemplaire, leur faire acquitter leur part des « charges communes », comme le proclame la Déclaration des droits de l'homme, est indispensable à la cohésion de la société et à son avenir, au moins financier. On aurait pu penser que Nicolas Sarkozy y serait prêt. Mais c'est négliger le fait qu'à la différence de la lutte contre la délinquance de rue, s'en prendre aux fraudeurs de l'impôt, cela ne rapporte pas de voix aux élections, et que le locataire de l'Elysée doit son bail à une campagne ouvertement antifiscale. La lutte contre la fraude, c'est aussi de la politique !
Hervé Nathan
Source : Marianne2