Bref résumé du livre "Si la gauche veut des idées"
Si être socialiste, c’est d’abord et avant tout vouloir la justice, combattre les inégalités de toutes sortes, alors il n’y a peut-être jamais eu autant de raisons d’être socialiste qu‘aujourd‘hui !
Ségolène Royal, Si la gauche veut des idées, p. 306
Je l’attendais avec impatience, ce livre. Un essai qui donne du poids à la parole de Ségolène Royal qui a été maintes fois tournée en dérision par ses camarades socialistes et ses adversaires politiques. J’ai toujours reproché à l’élue socialiste de ne pas avoir couché ses idées sur du papier. Cela aurait coupé l’herbe sous le pied à de nombreux détracteurs, qui la considéraient comme une écervelée. Dans ce livre, Alain Touraine et Ségolène Royal réfléchissent sur la mondialisation, l’enseignement, l’efficacité de la politique. Ce qui ressort de ce livre est la prise de conscience que le monde change, que la mondialisation a ébranlé tous les repères idéologiques, politiques, sociaux qui permettaient à l’homme de penser le monde, de se situer dans la société et d’améliorer son quotidien. D’après Alain Touraine, c’est désormais à l’individu qu’il faut s’adresser. Ségolène Royal rappelle qu’en France mai 68 a permis à chacun d’avoir la possibilité de s’épanouir, de s’inventer, ce qui est une responsabilité parfois difficile à porter : «Ce sont les personnes elles-mêmes qui doivent maintenant donner sens à leur propre vie. Ce n’est plus seulement la société, la classe sociale, la religion, les institutions ou la nation qui structurent la vie d’un individu » (p. 22). Afin de les y aider, les garanties collectives doivent permettre à chaque individu de s’épanouir et de trouver sa place dans le monde actuel. C’est à un nouveau socialisme que Ségolène appelle de ses vœux : un socialisme qui met l’homme au centre des préoccupations actuelles et qui le considère comme la clef de voûte du dynamisme économique, social et culturel du pays. De ce livre émergent trois questions qui font débat. J‘espère ne pas avoir galvaudé certaines idées.
L‘« Individuation » ou la socialisation ?
Dans le livre paru aux éditions Grasset, Si la gauche veut des idées, Ségolène Royal et Alain Touraine insistent sur l’importance de l’individu dans la mondialisation. Selon le sociologue, il s’agit d’un nouvel individualisme qui dépasse les clivages politiques, les catégories socioprofessionnelles, l’appartenance à la famille ou à une communauté. La mondialisation fait voler en éclats une certaine conception de la société qui considérait l’homme comme faisant partie d’un tout. Pour Alain Touraine, les individus ne se retrouvent plus dans un système globalisant, qui prétend résoudre les problèmes des citoyens. Les individus auraient selon lui perdu le goût des batailles collectives : « Le sens n‘est plus dans les choses; la réussite n‘est plus dans la conquête du monde. Le sens ne peut se trouver que dans la maîtrise de soi, la construction de soi, l’affirmation de soi comme être de droits ». (p. 40). Le combat se situe plutôt au niveau de la défense des minorités et des droits de l’homme. Pour le sociologue, il est temps que la société accepte de libérer l’individu et de le considérer comme « un être de droits ». Plutôt que de l’enfermer dans un système, « il faut (…) mettre les changements sociaux au service de la dignité et de la liberté des individus » (p. 11) L’école doit suivre cette sensibilité en prenant en compte l‘individu dans sa politique éducative, afin de lui donner les outils pour qu’il devienne acteur de sa propre vie et lui donner des opportunités qui lui permettront d’effectuer des choix par rapport à son projet personnel. Car ce qui est formateur, c’est de remplacer l’autorité extérieure par une autorité intériorisée. Il s’oppose de fait à toute société qui encouragerait le communautarisme, le communisme : systèmes qui, selon lui, écrasent l’individu.
Ségolène Royal constate l’individualisation de la société au niveau de la politique, lorsqu’elle remarque que le vote des électeurs ne correspond plus à la profession ou à la classe sociale :« les électeurs ont désormais acquis une autonomie et une liberté de pensée qui n’est que la conséquence du processus d’individualisation ». Pour elle, « les identités politiques ne sont plus figées. Elles se reconstruisent à chaque élection, en fonction des contextes sociaux et médiatiques, des enjeux, des candidats eux-mêmes » (p. 285). Elle approuve l’usage de la démocratie participative, car elle estime que dans la société actuelle les individus prennent plus facilement la parole et que le responsable politique se doit de les écouter s’il veut rester en phase avec la société qu’il représente, surtout s’il se présente comme le porte-parole des électeurs.
La Présidente de Région refuse cependant l’opposition présentée par Alain Touraine entre l’individuation et la socialisation, quand ce dernier aborde la question de l’école. Pour elle, l’école doit continuer de remplir sa fonction de socialisation pour permettre à chaque individu de devenir citoyen. Elle ne parle pas d’«individuation » mais d’ «humain», quand elle affirme qu’il faut remettre l’homme au centre du système éducatif. Elle sait que la relation pédagogique est avant tout une relation humaine et qu’actuellement il est difficile pour un élève de prendre rendez-vous avec un enseignant hors de son cours. C’est pourquoi elle propose que les enseignants disposent de bureaux pour pouvoir recevoir les élèves et les accompagner dans leur apprentissage. Au niveau universitaire, elle estime que les enseignants doivent être récompensés pour les tâches pédagogiques qu’ils accomplissent et le suivi des étudiants. Remettre de l’humain dans le monde éducatif, c’est selon elle une façon de lutter contre les inégalités scolaires, sociales, et permettre à chaque individu de s’épanouir.
L’Etat ou la société ?
Pour Alain Touraine, les gouvernements successifs français ont principalement donné la priorité à l’Etat sur la société. Cependant, avec la globalisation de l’économie et l’arrivée des nouvelles technologies, le volontarisme économique n’est plus de mise, d’autant plus que « l’Europe a perdu sa position hégémonique » et que sa construction «est de moins en moins un projet politique et s’inscrit plutôt dans les transformations de l’économie mondiale » (p. 180). Pour que l’Etat retrouve sa capacité d’action, il faut que la France sorte de sa « gestion corporatiste » et d’«économie administrée ».
Ségolène Royal approuve Alain Touraine en affirmant que «la France a toujours donné la priorité à l’Etat sur la société, à la loi sur la négociation » (p. 196). Afin de faire reculer «le centralisme, le bureaucratisme ou le dirigisme », elle propose une décentralisation qui donnera plus de poids aux collectivités territoriales, qui connaissent mieux le terrain. Cette décentralisation sera accompagnée d‘une démocratisation de la société (par une refonte des syndicats et une rénovation du dialogue sociale), et d’une démocratisation de la politique, en sollicitant les citoyens lors de débats nationaux ou de projets politiques. L’enjeu est donc de créer des garde- fou, car « Le pouvoir exécutif central, la centralisation, portent en eux-mêmes le risque d’autisme, d’inefficacité et de dérive vers le pouvoir solitaire du président de la république » (p. 205). Elle propose ainsi une VI république qui permettrait de donner une nouvelle impulsion à la société française en partant sur de nouvelles bases : une sorte de nouveau contrat social.
La politique a-t-elle encore un sens ?
Pour Alain Touraine, la révolution technologique, la nécessité de l’écologie et l’humanitarisme sont des réalités qui ont ébranlé les pouvoirs politiques, lesquels enfermés dans leur idéologie, nous invitent à ne plus voir la société à travers le règne de l‘économie. Pour le sociologue, l‘individu n’est plus défini dans son « appartenance à une classe, une nation, une famille ou à un autre type de communauté ». Il ne peut aspirer qu’à la revendication de soi, à être reconnu comme un être de droits. Le responsable politique devrait à ses yeux considérer la société dans laquelle il vit dans sa diversité culturelle et humaine : « Mais ce qui nous importe ici est que le centre de la vie sociale, aussi bien des espoirs que des conflits, se déplace de l‘ordre de l‘économie, et avant lui de l‘ordre du politique vers l‘ordre de l‘individu et de la conscience de soi. Ce n’est plus dans le champ économique que se situent les grands conflits et les choix principaux. » (p. 39).
Alain Touraine fait également le constat que la mondialisation a affaibli tous nos systèmes de régulation sociale qui permettaient de maîtriser nos activités économiques. Il remarque également l’épuisement des partis politiques, qui ne prennent plus en compte la diversité de la population française et ses particularités. En ce qui concerne le Parti Socialiste, Alain Touraine pense que le rôle de Ségolène Royal est de rompre avec une « idéologie pseudo-révolutionnaire qui ne correspond à aucune analyse et ne correspond à aucun objectif concret » (p. 267). Il l’invite à créer « un mouvement appuyé sur de nouvelles catégories sociales et surtout sur une analyse profondément renouvelée de la situation de la France et du monde ». (p. 266)
Avant de réformer la France, il faut réformer le Parti Socialiste, qui contemple le monde à travers un système idéologique qui ne correspond plus avec la réalité des Français. Pour que ce dernier soit en phase avec les Français, Ségolène Royal propose d’« ouvrir le PS à de nouveaux militants et de nouvelles formes de militantisme », de soigner l’articulation entre le local et le national, pour ne plus proclamer des principes sans se soucier de leur application. Elle demande au Parti d’« affronter la réalité avec lucidité et radicalité », sans reléguer les problèmes de société à des thèmes de gauche ou de droite. La responsable politique réaffirme sa volonté farouche de lutter contre toute forme d’assistanat et prône un nouvel individualisme, qui permettrait à l’individu de s’épanouir. Car ce sont les garanties collectives qui permettront à chacun de réussir et de s’épanouir. C’est la raison pour laquelle elle croit à l’importance des services publics.
Pour Ségolène Royal, c’est en misant sur le capital humain dans l’éducation, la formation, la recherche, et la culture, et en améliorant les conditions de travail des salariés que l’on créera de la valeur ajoutée, « parce que seule la capacité d’invention, d’imagination, d’innovation nous donnera un temps d’avance et nous permettra de créer les emplois de demain. » (p. 112). Elle revendique la valeur travail comme une valeur de gauche, car «c’est d’abord la possibilité de s’y épanouir. Et donc le rendre plus humain dans tous les sens du terme: salaires, conditions de travail, perspectives de conciliation de la vie familiale et professionnelle » (p. 47). Elle propose également la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle qui permettra aux salariés de se sentir plus forts devant les grandes mutations.
Elle appelle de ses vœux, non pas un Etat Providence, mais un Etat préventif qui intervient et investit prioritairement avant plutôt qu’après. Par exemple, pour échapper aux délocalisations et aux plans de licenciement, elle veut mettre en place «une stratégie de compétitivité par le haut » en mettant l’accent sur la formation des salariés, sur les investissements en recherche et en innovation des entreprises. Pour ce faire il faut selon elle repenser le dialogue social en optant pour un syndicalisme de masse (« Je suis absolument convaincue qu’il n’y aura pas de profondes réformes économiques durables sans une nouvelle frontière sociale. » p. 54), reconstruire le système d’enseignement supérieur en donnant aux Universités une meilleure gouvernance, un niveau élevé de financement et en contrepartie elles s’engageront à un suivi individualisé des élèves d’accompagnement vers l’emploi, développer le schéma travail-études pour rapprocher le travail en entreprise des études.
Sur le plan écologique, elle propose de créer un fonds « après-pétrole » financé par les profits de Total et par une partie des excédents d’EDF et d’Areva pour financer massivement les énergies renouvelables.(p49). Mais les enjeux environnementaux dépassent bien les frontières de la France. Ils sont d’ailleurs liés aux problèmes sociaux et à l’économie. Pour ce faire, elle propose de veiller à introduire dans les règles de l’OMC le respect de normes sociales et environnementales, de réformer le FMI et la Banque Mondiale, de mettre en place une taxe sur les flux financiers, de créer une Organisation mondiale de l’environnement ainsi qu’une Politique agricole commune mondiale pour organiser les marchés de manière plus juste et donner une vraie chance à l’agriculture des pays en développement.