Roger Bambuck : les JO « C'est le triomphe du cynisme »
Roger Bambuck, 62 ans, a été secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports entre 1988 et 1991. Il a détenu le record du monde du 100 m pendant une heure en 1968 et celui de France pendant vingt ans. Il est aujourd'hui inspecteur général de l'éducation nationale.
En tant qu'ancien ministre des sports et ancien athlète, quel regard portez-vous sur les Jeux qui s'ouvrent ?
Les Jeux de Pékin symboliseront à la fois le triomphe de la naïveté - les dirigeants du Comité international olympique (CIO) ont cru un moment que les Chinois adhéreraient à la cause humaniste et universelle qu'ils présentaient -, et du cynisme - pour ces mêmes dirigeants, la Chine n'est rien d'autre qu'un espace à conquérir. C'est un tournant négatif car les Chinois n'ont pas respecté l'engagement pris en faveur de l'adoption d'un standard de liberté européen. Ces Jeux vont confirmer le virage pris par les JO en 1980 lorsque Juan Antonio Samaranch, alors président du CIO, avait décidé pour donner du lustre à la compétition d'accepter « les meilleurs athlètes du monde », c'est-à-dire des professionnels. A partir de là, il a fallu composer avec l'idéal olympique d'amateurisme : celui qui aime et qui s'aligne bénévolement.
Finaliste du 100 et 200 m aux JO de Mexico, en 1968, vous aviez été témoin du geste des Américains Tommie Smith et John Carlos, le poing ganté de noir, sur le podium du 200 m, pour dénoncer la condition des Noirs aux Etats-Unis. Vous attendez-vous à de telles manifestations d'athlètes durant ces Jeux ?
Non, car les circonstances ne sont pas les mêmes. En 1968, il s'agissait d'un combat pour une humanité, pour des histoires connues. Aujourd'hui, la mobilisation est dispersée, les sujets sont divers. De plus, le pouvoir économique est plus attentif. Toutes les nations veulent tant faire plaisir aux Chinois qu'elles font surveiller leurs athlètes avec soin.
Ne demande-t-on pas beaucoup aux athlètes en matière de prise de position ?
Je ne leur demande que d'avoir les yeux ouverts. Qu'ils aillent à Pékin mais en sachant où ils mettent les pieds. Qu'ils soient conscients, entre autre, que ceux qui seront dans les stades pour les applaudir ne seront pas des Chinois moyens, vu les prix exorbitants des billets. Et qu'ils ne rabâchent pas que le sport n'est pas politique. Le sport est éminemment politique car il est un choix de liberté et de comportement. Il s'est longtemps développé dans une bulle dans laquelle il ne fallait pas penser, mais ce fonctionnement n'est plus valable.
Vous ne vous rendrez donc pas à Pékin ?
Sûrement pas. Aucune invitation ne m'a d'ailleurs été faite. Mon boycott des Jeux de Pékin sera moral. Pour la première fois, je n'en regarderai rien à la télévision. Si la télé voulait jouer un rôle intelligent, elle rediffuserait, à la place, de bons moments des Jeux de Londres, Melbourne ou Mexico.
Nicolas Sarkozy, lui, assistera à la cérémonie d'ouverture des Jeux, vendredi...
C'est un manque de vision. Début mai, Ségolène Royal avait appelé au boycott des JO pour forcer la Chine à revoir sa position au Darfour. Nicolas Sarkozy l'a renvoyée dans ses cordes en arguant qu'on ne mélangeait pas sport et politique. Il fallait lancer une réflexion et bâtir une stratégie sur l'attitude à adopter. Au lieu de quoi, on a clos le sujet et il n'y a plus eu d'autre solution pour le président que de se rendre à Pékin pour avaler un boa. Et ça ne nous fera pas faire davantage d'affaires avec les Chinois.
Propos recueillis par Patricia Jolly
Source : Le Monde