Journées civiques européennes : discours de Ségolène Royal

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Discours prononcé par Ségolène Royal lors des Journées civiques européennes, à La Rochelle


« Mobilité, dialogue, participation : vers une citoyenneté européenne active »

 

Cher Jean-Marc Roirant,

Cher Maxime Bono,

M. le représentant du Conseil général de Charente-Maritime,

M. le Commissaire européen,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

 

Je suis très heureuse de souhaiter la bienvenue en Poitou-Charentes à tous les intervenants et tous les participants de nombreux pays réunis à La Rochelle par le Forum Civique Européen pour trois journées de réflexion et d'échanges sur les perspectives d'une démocratie plus vivante aux dimensions de l'Europe, d'une citoyenneté européenne partagée et forte de tous les siens.

 

Je suis heureuse de saluer tout particulièrement les associations et les organisations non gouvernementales qui agissent à l'échelle européenne : votre engagement et votre expertise, l'Europe en a grand besoin pour être davantage à l'écoute de ses citoyens, à la fois plus accessible à chacun et plus efficace pour tous.

 

Permettez-moi de citer un grand, un très grand européen dont la voix nous manque, Bronislaw Geremek qui, quelques jours avant sa mort en juillet dernier, écrivait ceci : « Il faut se rendre compte que les Européens du XXIème siècle craignent l'avenir et ne font pas confiance à l'Union européenne. Ils la croient bien éloignée de leurs soucis quotidiens et inefficace pour relever les défis actuels. » C'est pourquoi, ajoutait-il, il est si important que les citoyens européens prennent la parole, par exemple à l'occasion de consultations sur une ou deux questions précises, qui seraient organisées le même jour dans tous les pays de l'Union. Car, écrivait Bronislaw Geremek, « il ne faut pas craindre le peuple, il faut craindre le populisme qui exploite l'absence du peuple sur la scène politique. »

 

Cette citoyenneté européenne, vos associations et vos ONG l'incarnent et contribuent à en faire une réalité plus concrète, plus vécue, plus agissante dans les différents domaines d'intervention qui sont les vôtres. C'est essentiel car là est la nouvelle frontière de la construction européenne. C'est l'une des conditions majeures de la réconciliation de nos concitoyens avec le grand  projet jadis conçu sur les ruines encore fumantes d'un continent dévasté par la guerre par quelques esprits hardis, visionnaires et volontaires. Ils jetèrent les bases d'une Europe décidée à refuser, comme le disait François Mitterrand à La Haye, « les enchaînements de la haine et la fatalité du destin ». Ce pari audacieux d'un avenir solidaire a peu à peu pris corps. D'abord à quelques uns et jusqu'aux retrouvailles de l'Europe avec cette partie d'elle-même dont l'histoire, pour un temps, l'avait séparée.

 

Nous avons fait, depuis, bien du chemin mais nous voilà aujourd'hui dans un moment à bien des égards paradoxal.

Le monde a plus que jamais besoin d'une Europe porteuse de paix, de progrès et de solidarité, bien des pays frappent à notre porte dans l'espoir d'en être, mais ce sont les citoyens de cette Europe nécessaire, de cette Europe enviée, qui semblent s'en détourner.

 

Cette crise manifeste de l'adhésion à l'Europe n'empêche pas que nous coopérions dans de nombreux domaines et j'ai vu, dans le programme de vos journées, que vous allez en aborder plus particulièrement certains. Je ne crois pas que cette crise soit, majoritairement, un refus d'Europe : au lendemain de leur vote négatif sur le Traité qui leur était soumis, 75 % des Irlandais, si l'on en croit les sondages, estimaient que c'est « une bonne chose d'appartenir à l'Union européenne ».

 

En France, en 2005, la plupart des partisans du non pensaient de même : ils ne voulaient pas sortir de l'Europe mais que l'Europe soit différente, plus protectrice et plus démocratique. Ce n'est donc pas le désir d'Europe qui est en berne mais de profondes insatisfactions qui s'expriment face à ces déficits majeurs : le déficit démocratique (l'illisibilité des textes des traités n'arrangeant rien !), le déficit d'anticipation et de protection dans un environnement mondialisé vécu comme menaçant.

 

Cette crise du consentement à l'Europe telle qu'elle est, que nul ne peut nier aujourd'hui, peut être une chance si elle nous pousse à corriger le tir.

 

Regagner la confiance perdue, c'est aussi, avec l'aide d'une démocratie européenne plus participative, donner à l'Europe un pouvoir d'anticiper et de protéger qui se manifeste concrètement dans la vie de chacun. Il faut être lucides : si l'Europe n'est qu'un vaste espace livré à la concurrence débridée de tous contre tous et à la loi du plus fort, nos concitoyens s'en détourneront de plus en plus.

 

Sans Europe sociale et sans grands projets mobilisateurs porteurs d'avenir, nous assisterons, à la montée des ressentiments, des replis sur soi et, à terme, n'en doutons pas, d'antagonismes redoutables dressant les uns contre les autres.

 

Je suis frappée par la vigueur avec laquelle John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats, homme dont je connais la pondération et le réalisme, vient de rappeler à la présidence française de l'Union combien l'oubli de l'Europe sociale empêche de « raccrocher les wagons entre les peuples européens et les décideurs politiques ». Il le dit sans ambages et je partage son point de vue : c'est le blocage de l'Europe sociale qui attise les peurs, accroît le sentiment de vulnérabilité et le pessimisme face à l'avenir. Il le rappelle avec fermeté : « les droits sociaux fondamentaux ne peuvent jamais être considérés comme inférieurs aux libertés économiques. » L'Europe du dumping social ne sera jamais l'Europe des citoyens.

 

Quand la Cour européenne de Justice autorise la rémunération de salariés détachés à l'étranger à un tarif inférieur aux conventions sectorielles locales, comme l'ont fait certains de ses récents arrêts, quand l'Union autorise jusqu'à 60 ou 65 heures hebdomadaires la dérogation à la durée légale du travail pourtant fixée à 48 heures, quand la flexibilité et la précarité l'emportent sur la sécurisation des parcours professionnels au point de déstabiliser le robuste modèle social de nos amis scandinaves, comment s'étonner de l'indifférence et parfois de la colère qu'elle suscite ?

 

La déception d'aujourd'hui est à la mesure des espérances d'hier. Ce n'est pas qu'on ait trop promis, c'est qu'on n'a pas assez tenu. Voilà pourquoi, passionnément européenne, je ne dissocie pas ces trois piliers de la réconciliation des citoyens avec l'Europe que sont :

− une démocratie plus participative dont vous êtes des acteurs majeurs et dont dépendent des choix européens répondant aux attentes légitimes de nos peuples ;

− une Europe plus performante socialement économiquement et écologiquement, qui protège et équipe les siens, tous les siens, pour que chacun puisse conduire sa vie dans le monde d'aujourd'hui ;

− une Europe capable d'avoir une vision commune de la politique de défense, étrangère et des droits de l'homme.

 

Nous avons, avec l'Europe, une formidable chance historique de mieux vivre ensemble sans rien abdiquer de ce que chacun est. De mieux défendre les intérêts légitimes de nos peuples dans l'univers globalisé. D'inventer une nouvelle citoyenneté à l'échelle de l'un des grands ensembles qui structureront le monde multipolaire qui émerge sous nos yeux. Cette Europe-là est possible. Et c'est celle-là que veulent ses peuples.

Cette Europe-là doit, pour parler aux siens et peser sur les régulations dont notre monde a besoin, être exemplaire chez elle. Cela vaut aussi pour les droits de l'homme : or bien des discriminations persistent chez nous, je pense en particulier à celles qui visent les Roms et à la manière indigne dont nous traitons les étrangers sans papier, avec des conditions et des délais de rétention attentatoires à l'Etat de droit, par exemple les initiatives douteuses comme le fichier EDVIGE.

 

Ce scandale moral n'est pas simplement un manquement aux valeurs fondatrices de l'Europe : il affaiblit terriblement le message dont elle est porteuse, à l'intérieur comme à l'extérieur de ses frontières.

 

Je vous souhaite d'excellents travaux et aussi, dans le beau combat que vous menez, la détermination inflexible de Jean Monnet, natif de Charente et très tôt convaincu que « là où manque l'imagination, les peuples périssent ». Car, Mesdames et Messieurs, mes chers amis, c'est le moment de remettre pour l'Europe l'imagination civique au pouvoir !

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