Ségolène Royal au Zénith : texte de son discours (1ère partie)

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Bonsoir le Vaucluse ! Bonsoir Angers ! Bonsoir toutes les régions ! Bonsoir l'Ardèche ! Bonsoir La Rochelle ! Je vois les Ch'tis là-bas ! Le 92 ! Bonsoir, et merci à vous, merci d'être là… La Touraine, la Bretagne, la Provence là-bas !


Et la fraternité, partout !


Fraternité ! Fraternité ! Et merci à tous les artistes qui sont venus là, depuis le début. Merci à Neg’Marrons, merci à Josiane de chez Renault, merci à Yannick de nous avoir envoyé ce message, merci à Bernie et à Trust. Il y a d’ailleurs dans la chanson de Trust, il y a longtemps que je ne l’avais pas écoutée, une phrase qui prend pour moi un sens très fort aujourd'hui, à un moment ça dit cette chanson : «  Cesse de faire le point, serre plutôt le poing. Relève la tête, je suis là, tu n'es pas seul. »


Et ce soir j'ai envie de vous confier trois certitudes. Pourquoi je suis là et pourquoi vous êtes là. Ensuite, la France que nous voulons et ce que nous refusons. Et enfin, pourquoi nous faisons une fête de la fraternité en ces temps difficiles.


Alors, je sais. La crise est là. On nous a même intimé l'ordre de ne pas nous réunir. Avec des airs d'inquisiteurs un peu aigris, on m'a dit : « Mais toi, tu fais la fête alors que la crise financière est là ? »


Comme si certains puissants et ceux qui les soutiennent, et qui ont plongé, par leur cupidité, le monde dans cette crise pouvaient interdire au peuple de se rassembler et de partager des élans d'espérance. Et de chanter. Eh bien non, nous sommes là !


Nous sommes là, et d'abord, dans toutes les histoires, le chant a porté les révoltes : la Marseillaise, l'Internationale, les Soldats de l'an II, le Chant des partisans des résistants martyrisés, le Temps des cerises de la Commune, le Chiffon rouge des luttes ouvrières… Eh bien, ce soir aussi, la musique porte notre exigence commune d'un monde plus juste et d'un monde plus libre.


Salut à vous, ces milliers de visages de la France qui sait que les temps sont durs, mais que nous restons debout car nous avons soif d'humanité. Se rassembler pour être heureux ensemble, vibrer aux mêmes émotions, s'engager dans les mêmes combats c'est tout simplement ce dont le monde a besoin. Non au cynisme non à la résignation. Oui à la confiance, oui à la volonté de nous élever tous ensemble.


Et puis, ne l'oublions pas, les forces conservatrices ont toujours utilisé la peur pour que les gens se replient, pour qu'ils se recroquevillent, pour qu'ils désespèrent… et pour qu'au final l'aigreur, la jalousie l'emportent et que le voisin ou le différent soient vus comme l'ennemi.


Alors, pourquoi suis-je là ? Je suis là, parce que vous êtes là ! Hommes et femmes de tous âges et de toutes conditions. Je suis là parce que nous avons en commun de vouloir un autre monde.


Pourquoi j'avance encore ? Pourquoi je ne veux pas laisser ceux qui hier étaient là, qui sont là aujourd'hui, ceux qui seront là, demain et qui espèrent encore ?


Pourquoi après trois ans de combats et d'épreuves je suis encore debout devant vous ? Et en plus (ce qui aggrave mon cas) heureuse d'être avec vous ?


On me dit « il faut relativiser les épreuves Ségolène, c'est de la politique ! C'est normal, tous ces coups qui pleuvent » !


Relativisons donc, puisqu'on nous le demande. Depuis trois ans, il y a eu la « riante » primaire, la « courtoise » présidentielle, les « gentils » coups bas, les « tendres » attaques, les « doux » cambriolages, les « amicales » pressions et les charmantes épreuves personnelles... Et depuis un an et demi, je relativise encore plus. Certains qui s'éloignent, d'autres qui trahissent avec grâce, d'autres qui méprisent coquettement ! Et les porte-flingues de l'Elysée qui m'ont conseillé publiquement de consulter médicalement, pensant que je perdais la tête. Et de s'étonner : mais elle est encore debout ! Et en plus elle continue !


C'est parce que malgré tout cela, partout où je vais, je sens viscéralement - et cela dépasse de loin ma personne, nos personnes -, je sens viscéralement que des millions d'hommes et de femmes soutiennent, encouragent et se demandent désespérément si la politique sert à quelque chose pour améliorer leur sort et celui de chacun. Et même ici, dans ce Zénith, je sais que certains se le demandent. Et c'est pour cela que je suis là.


Je suis là, aussi, parce que le combat social est là. Et je salue à nouveau les salariés de Renault qui sont victimes de 6 000 suppressions d'emplois alors que le patron et les actionnaires se sont augmentés, les postiers qui sont dans la salle et qui luttent contre la privatisation du service public et tous ceux qui subissent la loi d'un monde sans règles.


Alors, ces règles, je vous propose que nous les inventions ensemble et que nous les imposions ensemble.


Car enfin, nous sommes la cinquième puissance du monde et nous comptons des millions de travailleurs pauvres. Mais ce n'est pas juste ! On nous dit que c'est au nom de la compétition mondiale, mais ce n'est pas juste. J'ai dit que les artistes pouvaient, en une chanson, en une phrase - et vous en avez eu la preuve et, tout au long de cette soirée, vous le découvrirez à nouveau – en une chanson et en une phrase, on peut parfois dire plus beaucoup plus qu’un discours.


Et puisque je parle de travailleurs pauvres, j'ai envie que Coluche soit parmi nous. Parce que, nous le savons, 40 % de ceux qui vont chercher leur repas dans les Restaurants du cœur sont des salariés. Oui vous l'avez entendu, ce sont des salariés précaires, dans la cinquième puissance du monde ! Et Coluche disait ceci : « Ils vont être content les pauvres d'apprendre qu'ils vivent dans un pays riche »…


Alors, est-ce qu'il est possible de répartir autrement les richesses ? Nous en avons la certitude, bien sûr !


Et moi, je veux une France où les petits retraités ne se demanderont plus s'il faut faire un repas à midi ou le soir, s'il faut économiser sur l'électricité ou sur le gaz pour pouvoir passer l'hiver.

Je veux une France où je n'entendrai plus les enfants des cités me demander, « Mais, M'dame, pourquoi ils ne nous aiment pas ? »

Je veux une France où l'on n'entendra plus les anciens dans les villages me demander pourquoi il n'y a plus de docteur.

Sommes-nous condamnés à entendre des professeurs dire : « On n'y arrive plus » ?

Sommes-nous condamnés à entendre des jeunes dire : « Je n'ai pas peur de l'avenir. J'ai peur de ne plus en avoir » ?

Moi je veux, pour la France, une école qui donne à tous les enfants la chance de réussir et donc la liberté de choisir sa vie.

Je veux que la France soit capable d'accueillir tous ses jeunes. Qu'elle leur transmette les œuvres et les savoirs d'hier et d'aujourd'hui, et ceux de demain. Qu'elle aide chacun à réussir sa vie et à choisir sa voie et que ce privilège ne soit pas réservé à quelques-uns. Parce que la politique c'est d'abord le devoir de transmission.

Je veux qu’en France le travail soit respecté dans des entreprises qui auront les moyens d'innover et de bien payer leurs salariés.

Et enfin – on pourrait penser que c'est le bon sens-même, mais non, puisque le monde marche sur la tête – moi, je veux un monde, nous voulons un monde où le système financier n'est pas au service de lui-même, il est au service de l'économie. Et l'économie, elle n'est pas au service du profit pour quelques-uns, mais elle est pour le bien être des hommes et des femmes qui la font tourner.


Voilà, le bon ordre des choses. Tout le reste, c'est le désordre organisé par quelques-uns pour leur seul intérêt. Et d'ailleurs, dites-moi donc, le mot actionnaire n'apparait pas, il me semble, dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen ?

Permettez-moi de saluer ce soir la victoire des ouvrières d'Arena. Vous avez entendu, Arena ? Ce sont les ouvrières qui fabriquaient les maillots de bains de compétition. Certains d’ailleurs les trouvent mignons, ces maillots de bain… Ce que je trouve moins mignon, et même carrément abject, c'est que leur employeur, qui faisait des bénéfices conséquents, avait délocalisé en Chine, laissant sur le carreau des femmes qui travaillaient dans l'entreprise depuis 20 ou 30 ans. Jetées comme un vieux maillot de bain en quelque sorte.

L'entreprise a été condamnée, parce que ces femmes n'ont pas baissé les bras. L'entreprise a été condamnée à leur verser 50 000 euros chacune.

L'une de ces ouvrières a dit : « Le tribunal a choisi la vie des gens face aux intérêts des actionnaires ». Et sa copine a ajouté : « Cela a été une joie, pas seulement pour l'argent, je ne vais pas cracher là-dessus, mais parce que les patrons vont y réfléchir à deux fois avant de larguer une usine qui gagne. »


Non ! Non, Tous les coups ne sont pas permis.

Que les entreprises soient attentives à leur marge, quoi de plus normal ?

Qu'il faille, dans certains secteurs, produire aussi au plus près des nouveaux marchés qui s'ouvrent, pourquoi pas ?

Mais qu'on ne nous raconte pas, comme le patron d'Arena, comme celui de Gandrange et comme tant d'autres, que c'est la seule solution.


A quand l'interdiction de délocaliser et de licencier avec obligation de rembourser les aides publiques si l'entreprise fait des bénéfices ?


Vous voyez ? C'est avec une capacité de révolte intacte que l'on refusera de se courber, de réduire la politique à la gestion, de s'abandonner à tous les accommodements : « C'est comme ça, on y peut rien ». Et bien non, ça n'est pas « comme ça » on peut changer les choses !


Et nous changerons, parce que nous sommes le changement ! Nous, la gauche ! Parce que ça a encore du sens de dire « la gauche ». Beaucoup voudraient que la frontière n’existe plus, qu’elle soit floue. Oui la gauche doit se ressaisir, car être à gauche c’est avoir une lucidité radicale sur nos atouts, sur l’énergie et la force des hommes et des femmes, ici en France et dans le monde, qui ne demandent qu’à faire avancer notre pays pour peu qu’on nous entraîne. Et que personne ne soit laissé sur le bord du chemin !


Porter encore et toujours les valeurs humaines, les valeurs sociales, la gauche qui ouvre, la gauche qui rassemble, la gauche qui construit, quand pendant ce temps nos adversaires verrouillent, divisent et détruisent avec l’arrogance de ceux qui pensent qu’on ne peut plus les atteindre !!! Cela, je ne le veux pas ! Il faut choisir : Courber l’échine ou relever la tête ? Qu’avez-vous choisi ? Relever la tête.


La gauche doit être là malgré ses imperfections, ses atermoiements, ses frictions. La gauche doit être là pour faire émerger cette nouvelle France qui attend qu’on la réveille.


Nelson Mandela a dit une chose très belle à laquelle je pense souvent. « Au fur et à mesure que nous laissons briller notre lumière, nous donnons aux autres la permission d’en faire autant. » Cela veut dire que nous devons essayer d’être meilleurs, plus généreux, plus joyeux que la société que nous voulons transformer. Voilà ce que nous devons faire, vous, moi, chacun de nous, là où nous sommes, tels que nous sommes, socialistes, citoyens, à gauche, au-delà...


Qu’est ce que le rôle d’un homme ou d’une femme engagée si ce n’est de changer le cours des choses ? Je voudrais prendre deux exemples. L’avenir de la planète et la crise financière. Changer le cours des choses c’est tellement indispensable pour l’avenir de la planète.


Quoi de plus insupportable que ces discours sans lendemain, ces tigres de papier qui s’écroulent devant le premier lobby venu, pour remettre en cause le principe élémentaire du « pollueur, payeur ».


Cette indifférence – coupable - me fait penser a une phrase de Woody Allen, lorsqu’on lui demandait s’il avait peur de mourir, il répondait : « Ce n’est pas que j’ai peur de mourir. Mais je ne voudrais pas être là quand ca arrivera. » C’est ce qui se passe et je pourrais vous en dire beaucoup plus, sur la planète et sur les chances et les trésors que recèle le développement durable. Et j’aurai l’occasion de le faire.


Un mot sur ce système financier en folie qui s’autodétruit sous nos yeux. Il entraine dans sa chute des millions de petits épargnants. Il jette à la rue non seulement des millions de petits propriétaires mais il entraîne aussi des grands établissements bancaires. Il propage sa crise à la planète entière.


Alors, paniqués, les ennemis de l’Etat l’appellent à leur secours. Les ultralibéraux retournent leur veste.

Et le gouvernement Bush a injecté en quelques heures 700 milliards de dollars - soit trente fois l’aide publique au développement - qui étaient introuvables, il y a quelques semaines, pour mettre fin aux émeutes de la faim.

Soulagement de ceux qui ont entraîné le système dans le mur : leur fortune est faite et ils ne paieront pas les pots cassés.


Et dans ce champ de ruines émerge cependant une bonne nouvelle. On commence à comprendre qu’il faut radicalement changer de système.


Mais alors, pourquoi alors que les temps sont durs, pourquoi une fête de la fraternité ? « Le grand rayon de l’art, c’est la fraternité », disait Victor Hugo. Et ce soir, je vous invite à un voyage, un voyage artistique venu de tous les coins du monde et de toutes les générations et de tous les genres de musique, et du cinéma et du théâtre. Un voyage autour de la fraternité.

La fraternité, pour moi, c’est encore mieux que la solidarité. Parce que c’est la fraternité qui la fonde et lui donne ce « sentiment d’humanité » sans lequel la politique serait un simple métier sans âme, une simple transaction entre intérêts bien compris.

La fraternité, ce n’est pas de la compassion ou de la pitié. La fraternité, ce n’est pas la politique des bons sentiments. La fraternité, ce n’est pas s’embrasser les uns les autres avec un sourire hébété bien sûr, même si ça n’est déjà pas si mal. La fraternité c’est d’abord penser à l’autre toujours. Parce que ce qui arrive de mauvais à l’autre où qu’il soit, finit par générer quelque chose de mauvais pour soi même. Et aussi parce que ce qui arrive de bon à l’autre finit par créer du bonheur chez soi.

La fraternité on n’en a jamais eu autant besoin qu’aujourd’hui car ce qui vacille sous nos yeux, c’est tout un système inégalitaire et qu’un autre doit se préparer. La fraternité c’est la volonté d’humanité. N’en doutons pas, n’hésitons pas : l’avenir, le désir d’avenir, il est avec nous (à suivre)...

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