"La Révolution française n'est pas terminée"

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De Vincent Peillon

Résumé, par Joël LE DEROFF de la Fondation Jean-Jaurès - Esprit critique - numéro 85 - 7 octobre 2008


En cette période de Congrès, Vincent Peillon nous offre une occasion de réapprendre et de nous réapproprier quelques fondamentaux méconnus du socialisme français. L’ouvrage qu’il propose n’est pas un essai rédigé entre La Rochelle et Reims, mais s’inscrit plutôt dans le temps long de notre histoire politique et de l’histoire des idées. Une manière d’éclairer l’identité des socialistes en renouant les fils de leurs racines républicaines. Une manière aussi de prendre de la hauteur en éclairant quelques concepts plus souvent utilisés que compris.


Liberté, égalité, fraternité


Liberté ou égalité ? Individualisme ou solidarité ? Economie ou politique ? Démocratie libérale ou socialisme ? Il est des alternatives qu’on peut multiplier à l’infini, tout en sentant bien qu’elles sont fausses. La République a une devise indivisible. Les trois termes qu’elle contient sont articulés, et c’est ensemble qu’ils font sens. Vincent Peillon le restitue en s’appuyant en particulier sur les thèses de Jean-Fabien Spitz (1).


La liberté, dans toutes ses dimensions, est la conquête première de la Révolution. Mais le projet républicain se définit par l’émancipation et la liberté est « non seulement le droit, mais le pouvoir donné à chacun de développer ses facultés » (2). Or que devient ce pouvoir si la proclamation de droits égaux se fait sans tenir compte des rapports de force et des inégalités sociales ? Il y a émancipation quand on rétablit l’égalité, non pas comme nivellement, mais comme égale capacité offerte à tous de construire son identité et son destin. C’est à ce prix que les différences entre les citoyens seront légitimement considérées comme acceptables.


Ainsi, si le vrai individualisme, en tant qu’émancipation de l’individu, est le but de la République, il ne peut se concevoir que grâce à une puissance publique forte et capable de redistribution. Certes, l’individu dépendra alors de la puissance publique. Mais il aura quitté l’ancestrale situation de dépendance personnelle envers sa communauté, sa religion, ses maîtres.


La République libérale ne peut se réaliser que sous la forme d’une République sociale. La fraternité est ce liant qui fait que l’émancipation de chacun devient l’intérêt général. En elle se trouve la capacité de transcendance de la République.


Socialisme français, socialisme républicain


Que le socialisme français puisse être républicain, nul n’en doute chez les socialistes des années 2000. Que le socialisme français soit par essence et dès le XIXème siècle une émanation logique de l’idéal républicain, ni matérialiste, ni collectiviste, préférant la collaboration des classes à leur lutte, accordant un rôle à la spiritualité, et réformiste plutôt qu’insurrectionnel, voici qui n’a pas toujours été de soi.


C’est que, durant tout le XXe siècle, une double tradition historiographique s’est employée à disqualifier un héritage qui représente pourtant nos racines. L’analyse de la révolution de 1848 par Marx est par exemple l’occasion de moquer une veine « utopiste » et incapable de prise sur le réel, dont l’échec historique permettrait enfin de comprendre la nécessité de la lutte des classes et de la dictature du prolétariat, en oubliant toute velléité de socialisme fraternitaire. L’analyse de 1848 par les libéraux d’hier et d’aujourd’hui leur permet, de Tocqueville à Furet, de conclure à l’opposition irréductible entre socialisme et libéralisme.


En fait, de 1848 à 1870 et à la IIIe République, il y a bien des continuités. Vincent Peillon cite à l’appui les analyses de Philippe Chanial (3), qui restitue son importance historique à une « matrice associationiste ». Sa modernité aussi, qui lui permet de dépasser l’alternative individualisme/étatisme si chère aux marxistes et aux libéraux. Les grandes lois sociales de la IIIe République viennent illustrer dans les faits le réformisme républicain. Louis Blanc, Edgar Quinet, Pierre Leroux, Léon Bourgeois… Des continuités bien démontrables puisque le socialisme est pour Jean Jaurès « un individualisme logique et complet », ancré dans le projet républicain.


Alors 1905 – l’unité du Parti socialiste avec Guesde et Jaurès – est sans doute le moment clef où s’est produit le refoulement qui a permis à la lecture marxiste des révolutions et du socialisme de s’imposer durablement, au risque de laisser la liberté et la démocratie aux libéraux, ou tout au moins de leur donner l’espace dont ils avaient besoin pour les revendiquer. Un refoulement à ne pas reproduire.


La laïcité !


Elément fondamental de l’identité républicaine, la laïcité mérite qu’on s’y attarde et qu’on la comprenne bien. Comment sinon la défendre alors qu’elle est attaquée, peut-être plus encore aujourd’hui qu’hier ?


Ici encore, deux lectures également partielles de l’histoire française s’affrontent trop souvent en s’excluant. Selon la première, la République, essentiellement positiviste, serait sans religion, dépassant ce concept par la foi en la science et le progrès. Selon la seconde, la Révolution aurait engagé un simple transfert de la sacralité du pouvoir vers des formes politiques nouvelles. Ces deux théories ignorent les aspirations spirituelles et religieuses propres à de longues lignées de républicains, dont Edgar Quinet, Victor Hugo, Ferdinand Buisson, Charles Renouvier, voire Jean Jaurès lui-même qui voyait dans le socialisme républicain une exigence de « spiritualité réelle et concrète ».


En réalité, la laïcité ne se confond pas avec la seule exigence de neutralité entre les religions et elle n’est surtout pas la négation de l’aspiration humaine à l’absolu – d’ailleurs, ce serait laisser celle-ci aux prêtres. Avec la laïcité, la République a construit un nouveau régime d’historicité, un nouveau mode d’instauration du social, et reformulé le lien entre politique et religieux.


Jules Michelet écrivait que la Révolution devait devenir sa propre religion. Vincent Peillon, plus proche d’Edgar Quinet, nous rappelle opportunément comment la République « humanitaire » doit aussi reposer sur une foi commune en l’humanité de chaque personne, par delà toutes les différences, créant une véritable « religion de l’humanité » opposée aux religions d’autorité et aux dogmes. Religion, ou irréligion pour certains (4), mais pas a-religion. Quoi qu’il en soit, nous rejoignons ici la notion de fraternité républicaine énoncée dans notre devise. Et, à chaque génération, l’école dans notre République, cette forme de société où chacun peut rechercher sa propre Vérité, constitue le ciment de cette reformulation historique.


La Révolution n’est pas finie


En fondant un nouveau régime d’historicité, la Révolution n’a donc pas fait événement. Elle a fait époque. Il ne tient qu’à nous que cette ère ne finisse pas, contredisant les mythes de la fin de l’histoire. Pour vivre malgré la crise politique actuelle, la République a besoin de renouer avec les articulations de son histoire, et les socialistes peuvent y contribuer en cessant de refouler ce qu’il y a de plus spécifique et de plus porteur dans leur substrat historique.


par Joël LE DEROFF

1. Jean-Fabien Spitz, Le Moment républicain en France, Paris, Ed. Gallimard, 2004.

2. Louis Blanc, cité par Vincent Peillon.

3. Justice, don et association. La délicate essence de la démocratie, Paris, 2001.

4. Jean-Marie Guyau, « L’irréligion de l’avenir », Revue du MAUSS permanente, 12 décembre 2007.

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