Réponse d'Arnaud Montebourg à Edwy Plenel

Publié le par Désirs d'Avenir Rueil

Votre apostrophe, cher Edwy Plenel, appelle quelque réponse tant elle repose sur un diagnostic que le Parti socialiste semble être incapable d'établir. Je le dis au lendemain d'un triste Conseil national où aucune analyse d'ensemble suffisante n'a été proposée pour comprendre ce qui s'est passé dimanche. Et je ne dirai rien des solutions imaginées pour sortir de l'impasse dans laquelle nous nous sommes enfermés. Elles sont loin de nous porter à rebondir, pour l'instant et en l'état. Ce diagnostic, le vôtre, rejoint donc le mien. Il a, à mes yeux, trois dimensions.

 

Premièrement, le PS est devenu un parti de professionnels assis sur une accumulation d'intérêts personnels ; c'est un cartel de bastions locaux, d'additions de territoires spécifiques qui nous éloignent toujours plus de la nation comme lieu d'élaboration de l'intérêt général et de valeurs universelles silencieusement dissous par la passion -souvent dépolitisée- du local. La force traditionnelle que ce parti tirait d'un grand nombre d'élus devient peu à peu une faiblesse dans la mesure où cette balkanisation provinciale forme un écran vis-à-vis de la société réelle.

 

Et c'est le deuxième facteur, celui d'un parti qui ne sait plus parler aux citoyens ni non plus à ses électeurs. A l'heure des réseaux sociaux où l'on se fait facilement des amis, le PS est un endroit où l'on ne s'aime plus, où l'on ne sait plus faire de la politique autrement. Les déchirements de congrès n'ont de sens que pour reproduire l'antique organisation de débats ramenés au stade de terribles combats de gladiateurs et d'écuries présidentielles. Ils servent de moins en moins à arbitrer des choix stratégiques compréhensibles par la population. C'est ainsi que le PS a perdu la confiance électorale des ouvriers, des employés et des jeunes. Seulement 13 % de ces trois catégories avaient voté pour Lionel Jospin en 2002. Ils restent régulièrement absents depuis.

 

Enfin, le PS n'a plus de vision de l'avenir. C'est pourquoi il forme une opposition improbable à Nicolas Sarkozy. La dénonciation au jour le jour du coup d'État permanent ne définit pas un socle de valeurs auquel on ait envie d'adhérer. Les transformations de la production et du travail affectent non seulement le lien social mais aussi la formation de la personne et son individualisation. L'émancipation à laquelle se sont attelés les premiers socialistes reste un devoir dans l'actualité de nos tâches. Mais il faut pour cela une imagination globale et une pensée politique du dépassement de l'horizon borné de nos seules traditions.

 

Mais à quoi tout cela tient-il ? Vous évoquez quatre renoncements. Je les ratifie un par un.

 

Oui, nous avons sombré dans le présidentialisme aussi bien à l'intérieur du parti où les principes de responsabilité et de délibération collective ont disparu, que dans la V° République. Nous n'avons jamais réformé ce régime bonapartiste, bien au contraire. Au-delà des années Mitterrand dont vous parlez, l'inversion du calendrier et l'instauration du quinquennat voulues par un Lionel Jospin isolé dans une pensée solitaire, ont conforté l'idée que la présidentialisation de la République allait de soi pour peu qu'on la "préside autrement" (slogan officiel de la campagne de 2002).

 

Oui, nous avons entretenu l'idée naïve d'une mondialisation heureuse pour peu que l'Europe se consolide en un grand marché. La dénégation exprimée pendant longtemps de la réalité des délocalisations et de la désindustrialisation a été pendant longtemps le symptôme de ce parti socialiste coupé du monde du travail. L'Europe sociale c'était bon pour les campagnes électorales, un slogan abstrait sans concrétisation pour ceux qui d'ailleurs ne l'attendaient plus. Quant à l'Europe politique, elle s'est réduite comme peau de chagrin dans la cogestion des institutions de l'Union Européenne. Notre division sur le traité constitutionnel en 2005 n'a pas permis de surmonter encore aujourd'hui ces déficits.

 

Oui, nous avons oublié les couches populaires, comme le rappelait déjà Pierre Mauroy à la fin de la campagne présidentielle de 2002. Quelquefois théorisé par une sociologie de la disparition de la classe ouvrière, cet abandon est passé par le silence ou l'incompréhension devant une conflictualité sociale portant fertile. Effacée de la déclaration de principes il y a un an, la lutte des classes, quand elle surgit comme cet hiver aux Antilles, prend au dépourvu un parti qui ne l'imagine plus et même parfois la craint.

 

Oui, nous avons perdu les intellectuels et le "monde du savoir", belle formule qui est vôtre et qui désigne un espace structuré de méthodes et d'échanges. Ce ne sont donc pas tellement ces experts qui fourmillent à la direction ou autour des responsables du parti et dont le "conseil" est très parcellaire ou spécialisé. Ce sont les producteurs de connaissances indispensables à l'intelligence du changement social et culturel.

 

Alors, que faire ? Une refondation de ce parti passera à la fois par un projet et une pratique d'ouverture à la société dans son ensemble.

 

Pendant longtemps, nous avons vécu sur l'illusion de l'alternance facile, un héritage aveuglant des années Mitterrand et Jospin, où l'on croyait qu'il suffisait d'être là et d'attendre. Cette illusion stratégique nous a fait perdre sept années, de 2002 à 2009.

 

Pendant ce temps, la société a changé, la social-démocratie s'est noyée dans la mondialisation financière, pour ne pas dire compromise, et a perdu sa crédibilité.

 

Nous nous sommes divisés sur ces enjeux anciens, au lieu d'imaginer que nous pourrions anticiper la naissance d'une société nouvelle qui se fait sous nos yeux, et sans nous.

 

Notre pays est en voie d'appauvrissement, en voie de déclassement international aussi. Nous aurons à affronter des montagnes de dettes, un Etat social très délabré, une montée importante de la violence dans la société et contre la société.

 

Les problèmes environnementaux surdétermineront le temps passant toutes les autres politiques. Le social et l'environnemental au lieu d'être présentés en opposition sont en vérité les deux versants d'une même montagne à gravir. Ils devront donc être mariés et la bataille culturelle pour une société dans laquelle les êtres humains se donnent la main, s'entraident pour vivre mieux, plutôt qu'une société qui magnifierait leur égoïsme, a commencé. Les enjeux environnementaux sont un formidable levier pour la gagner.

 

Les révisions politiques que nous auront à faire seront donc déchirantes :

 

Il faudra certainement en rabattre sur notre naïveté internationaliste qui a fait l'alpha et l'omega de nos choix en faveur d'une mondialisation qui ne pouvait pas être la nôtre.

 

Il faudra assumer l'idée que les comportements individualistes devront être corrigés, découragés dans une société qui a besoin d'une nouvelle raison de vivre ensemble.

 

Il faudra imaginer des processus nouveaux, efficaces, pragmatiques pour contenir la montée de la violence dans la société et protéger les citoyens.

 

Il faudra imaginer, face au gouvernement autoritaire et bonapartiste, une solution démocratique nouvelle, un chemin démocratique différent et nouveau qui ne pourra pas être la fascination que nous avons eue pour la Ve République, c'est le projet de VIe République.

 

Il faudra regarder en face ce qu'est devenu notre idéal social broyé par sa bureaucratisation et inventer de nouvelles formes de protections sociales pour mieux asseoir leur force symbolique et politique dans la société.

 

Ces chantiers là ont commencé depuis longtemps pour nous dans nos têtes. Nous ressentons à quel point la résistance dans l'appareil socialiste est forte.

 

Ces chantiers de l'innovation nous permettront de nous dépasser et de relancer l'Histoire nationale et peut-être européenne, si nous nous dotons de l'outil permettant le dépassement de nos appareils, qui sont autant d'obstacles dressés sur le chemin de la transformation de la gauche.

 

Concrètement, cela passe par la mise en oeuvre de primaires populaires. Nous y avons travaillé d'arrache-pied depuis trois mois dans une commission composée de tous les responsables du parti. Il s'agit d'inventer un système fédératif de toute la gauche, de construction progressive d'un projet commun associant les forces militantes, syndicales, associatives et toute la société sympathisante des gauches. C'est la base dynamique de désignation d'un ou d'une candidate à l'élection présidentielle dont le leadership sera ainsi collectivement construit et non pas décrété. C'est ainsi qu'est née la candidature d'Obama avec les résultats que l'on sait.

 

Cette démocratisation de la désignation du candidat à l'élection présidentielle n'est pas anecdotique ou procédurale ; c'est un acte d'une audace stratégique majeure destiné à organiser par nous mêmes et pour nous mêmes notre propre dépassement en reprenant pied dans la société, qui nous a retiré sa confiance. La gauche, majoritaire encore une fois dimanche, pourra ainsi surmonter ses divisions d'appareil en créant devant les Français et avec le peuple de gauche des équipes nouvelles et un projet nouveau, synthèse des différents apports des gauches.

 

La réussite de cette démocratisation procédurale entraînera non seulement un changement de la nature du parti socialiste si ce n'est la naissance d'un nouveau parti à gauche, mais aussi la fin de l'exercice solitaire du pouvoir dans la République. Si cela ne réussit pas, ce ou ces partis disparaîtront.

 

Voilà pourquoi, je n'entends pas suspendre le combat, car c'en est un, de la refondation du socialisme et de la politique dans ce pays et en Europe. Voilà pourquoi votre interpellation, Edwy Plenel, était si opportune et à laquelle j'ai mis soin à répondre. Ces échanges sont trop rares dans l'opinion, chez les militants comme chez les journalistes. Vous créez un indispensable forum qu'il faut élargir. Soyez en sincèrement remercié.

 

Arnaud Montebourg est secrétaire national du PS à la rénovation, député et président du conseil général de Saône-et-Loire.

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