Le PS, les ouvriers et la banlieue
La Revue socialiste ouvre un nouveau cycle et choisit pour l'inaugurer le thème des "ouvriers en France". Créée en 1885 par Benoît Malon, aujourd'hui dirigée par Alain Bergounioux, conseiller de Martine Aubry, elle change de formule : un format plus carré, une maquette rénovée et, passé le traditionnel "édito" de la première secrétaire du PS, un ton et une structuration plus proches de ceux de ses concurrentes non dépendantes d'un parti. On trouvera désormais, dans chaque numéro, un dossier "sur une question ou un thème qui interrogent la pensée socialiste". Le PS n'aura que l'embarras du choix.
Le divorce avec les catégories populaires en est un des plus cruciaux. Le PS a perdu du terrain dans tous les groupes sociaux qui avaient contribué à l'élection de François Mitterrand en 1981. Il ne s'en remet pas, il ne sait pas par quel bout prendre le problème. Ne serait-ce que parce qu'elle contribue à briser ce tabou, l'initiative de La Revue socialiste est bienvenue. Alain Bergounioux rappelle l'interpellation de Pierre Mauroy avant l'élection présidentielle de 2002, s'indignant de l'absence du mot même d'"ouvrier" dans les textes du programme et les discours du candidat Jospin. On sait ce qu'il en advint.
Dans son article sur "la gauche et les classes populaires en milieu urbain" Florent Gougou, chercheur au Cevipof, revient sur le "séisme" du 21 avril 2002 qui a achevé de consommer, "sous les yeux stupéfaits des électeurs et des responsables politiques", le divorce entre les ouvriers et la gauche, en germe depuis la fin des années 1970. Au lendemain des municipales de 2008, beaucoup de socialistes se sont interrogés sur l'"énigme" qu'il tente de résoudre. Pourquoi, alors que Ségolène Royal avait permis au PS, lors de la présidentielle de 2007, de retrouver un ancrage dans les quartiers populaires, ce lien s'est-il délité dès les élections locales suivantes ?
Parce qu'il s'agissait "d'une reconquête en trompe-l'oeil" répond Florent Gougou. Au premier tour de l'élection de 2007, la candidate a certes "redressé la barre" par rapport aux résultats obtenus par Lionel Jospin en 2002 chez les ouvriers (respectivement 25 % et 13 % du vote de ces derniers) "mais dans des proportions similaires à sa progression d'ensemble" note-t-il. Et si c'est bien dans les quartiers populaires de la périphérie des grandes villes que la candidate socialiste a le plus creusé l'écart, ces quartiers ne sont pas des banlieues ouvrières. Celles-ci ont "nourri la dynamique électorale de Besancenot" et se différencient sociologiquement nettement des quartiers où Mme Royal a fait ses meilleurs scores.
A Montreuil, Saint-Denis, Gennevilliers ou Bobigny, qui font partie des 13 cantons de banlieue sur les 20 où Mme Royal a réalisé ses meilleures progressions, la population compte surtout des employés et une proportion très forte de Français issus de l'immigration. Bref, conclut Florent Gougou, ces communes, notamment celles de Seine-Saint-Denis, s'imposent "comme l'archétype des évolutions sociologiques qu'a vécues ce type de milieux populaires urbains : de la classe ouvrière aux jeunes de cité, de la "banlieue rouge'' au "9-3''". Enfin, note-t-il, l'immense majorité des électeurs de ces quartiers ont voté en 2007 (jusqu'à plus de 80 % parfois), mais ils se sont détournés des urnes sitôt tournée la page de la présidentielle. Ce sont ceux-là, dont le chercheur assure peut-être un peu vite qu'ils sont politiquement "alignés sur le PS", qui ont une nouvelle fois manqué aux socialistes aux élections européennes du 7 juin. Ceux-là qu'il importe à tout prix de (re)conquérir.
Source : Le Monde