Haro sur Ségolène ?
« Boules puantes » : en reprenant la fameuse expression du général de Gaulle pour qualifier quelques vilenies d'Europe 1 à son endroit, Ségolène Royal n'imaginait pas que les mêmes qualificatifs deviendraient adéquats quelques jours plus tard pour décrire la situation au sein de son propre parti. L'enquête (1) de mes confrères Antonin André et Karim Assouli sur les fraudes qui auraient accompagné la désignation de Martine Aubry au poste de secrétaire général tombe au plus mal. En quelques jours, il a déclenché un tintamarre médiatique aux effets déjà calamiteux. Ces « révélations » viennent anéantir la remise en selle socialiste amorcée à La Rochelle la semaine précédente. Pas de chance !
En théorie, Ségolène Royal devrait être la principale bénéficiaire de ces révélations. Si elles sont validées, il est clair que c'est à elle, à son camp, aux militants de Désirs d'avenir qu'on a volé la victoire, lors du calamiteux congrès de Reims de novembre 2008. La présidente de la Région Poitou-Charentes devrait donc se trouver aux commandes du PS à la place de Martine Aubry. Reste que cette victoire comptable sera moins facile à gérer qu'on ne l'imagine.
S'il se confirme qu'elle a bel et bien été grugée grâce au bourrage des urnes, l'ancienne candidate à la présidence est évidemment fondée à élever la voix, à tempêter même, voire à exiger un nouveau vote. Doit-elle le faire ? Pas si sûr. Si elle choisit cette stratégie, le jeu risque de se retourner contre elle. La « bombe atomique », en explosant, aurait pour premier effet de pulvériser ce qu'il reste de crédibilité au PS. On voit d'ici le tableau : militants déboussolés, électeurs écoeurés, partis de droite aux anges, etc. De manière très injuste, ce serait sans aucun doute à la victime elle-même qu'on imputerait la responsabilité du nouveau séisme. On ne manquerait pas de répéter sur tous les tons qu'elle « sème la zizanie », en revenant sur un vote déjà acté, c'est-à-dire sur de « vieilles histoires ».
Le risque est d'autant plus réel que, jusqu'alors, rien n'aura été épargné à Ségolène au sein du PS. On n'aura mégoté ni sur l'agressivité haineuse ni sur la calomnie. Désignée comme « folle », « vendue au centre », « incompétente » et tutti quanti, ne fut-elle pas, in fine, lâchée par certains de ses propres lieutenants, prompts à renier leur ancienne allégeance quand tourna le vent ? N'est-ce pas, Vincent Peillon ?
À ce premier risque - un regain de haine - s'ajoute un second qui tient aux irrégularités du vote elles-mêmes. Qui peut jurer que le « bourrage des urnes » n'a eu lieu qu'au détriment d'un seul camp ? Que s'est-il vraiment passé dans les fédérations du sud de la France ou de l'outre-mer ? Pris la main dans le sac, les partisans de Martine Aubry pourraient bien objecter que, dans le même sac, il y avait peut-être une autre main, royaliste celle-là.
On devine l'effet global de ces « boules puantes » sur l'image d'un parti déjà mal en point. Tout pousse en tout cas Ségolène à y réfléchir à deux fois avant de monter au créneau en criant au trucage. Elle semble d'ailleurs résolue à retarder sa réponse jusqu'au 19 septembre prochain, date de son université d'été axée sur le thème de la fraternité. De quoi enrager intérieurement.
La politique est un breuvage parfois bien difficile à avaler. L'ancienne candidate, il est vrai, a montré jusque-là une incroyable capacité à encaisser les coups (publics et privés). Depuis plusieurs années, ils n'ont pas manqué. Ils ont même été si rudes qu'on se demande aujourd'hui pourquoi cette femme, plutôt talentueuse et populaire, est-elle si brutalement traitée par les siens.
On se pose la question mais, dans le fond, on connaît la réponse. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas Ségolène Royal, force est de constater que, mieux qu'aucun (ou aucune) autre, elle accroche la lumière. Dans un petit monde gouverné par la vanité et l'envie, c'est difficile à pardonner.
(1) « Hold-uPS, arnaques et trahisons », éd. du Moment.
Auteur : Jean-Claude Guillebaud
Source : Sud-Ouest