Interview de Jacques Delors au JDD
Jacques Delors, le « sage » du
L'ancien ministre de l'Economie apporte un soutien sans faille à Ségolène Royal. (Patrick Othoniel/Le JDD)
François Bayrou n'a pas donné de consigne de vote, mais que souhaitez-vous dire à ses électeurs ?
Je comprends que M. Bayrou veuille créer un parti démocrate et c'est logique qu'il pense à l'élection de 2012. Mais compte tenu de son diagnostic grave sur la France, on ne peut pas attendre. Cinq ans, c'est trop long! Il y a urgence, c'est cela que je veux dire aux électeurs de François Bayrou: il faut se compromettre dès maintenant. Je pense, en premier lieu, aux 15 % de Français qui connaissent une vie très difficile et à qui il faut apporter confiance et moyens d'existence.
Pendant toute la campagne, Ségolène Royal a été l'objet d'un procès en incompétence. Que répondez-vous à ses détracteurs ?
Ségolène Royal représente à mes yeux une conception du monde et de la société qui a toujours été
« Nicolas Sarkozy est quand même le candidat sortant ! »
Justement, certains, au PS, lui reprochent de n'être pas assez socialiste, trop centriste; qu'en pensez-vous ?
Elle a compris, mieux que beaucoup d'autres, la signification d'une élection au suffrage universel du président de
Ségolène Royal a donc eu raison de tendre la main à François Bayrou ?
François Bayrou a fait une bonne campagne et il se trouve que l'essentiel de son constat est partagé par nous, les électeurs de Ségolène Royal. Il a parlé de démocratie malade, du tissu social déchiré, d'une économie en mal de dynamisme, de discriminations absolument inacceptables, selon le nom, le faciès et même le département. Sur ces bases, Ségolène Royal a appelé à un dialogue, à des solutions, des orientations pour remettre la France dans le sens de
Il n'empêche, François Bayrou reproche à Ségolène Royal de prôner une économie étatiste. Est-ce qu'il se trompe ?
Je suis un partisan de l'économie de marché régulée, à la française parce que chaque pays a ses traditions. Ségolène Royal est dans le droit-fil de cette pensée, tout en sachant l'urgence de certaines situations, notamment sociales. C'est pourquoi elle ne promet pas la lune en matière de déficit. Le souci de la dette est là, il faut la réduire progressivement. Mais il faut aussi qu'elle puisse répondre aux impératifs d'une cohésion sociale retrouvée. Ce qui n'empêche pas de faire repartir l'économie. C'est tout à fait possible à court terme, mais surtout à moyen terme, grâce au développement de l'éducation, de la recherche, de l'innovation et à la libération des forces créatrices, notamment celles des petites et moyennes entreprises et des artisans. Tout cela Ségolène Royal l'a compris.
Beaucoup pensent cependant que Nicolas Sarkozy serait meilleur pour redynamiser l'économie ou faire baisser le chômage.
C'est qu'ils oublient le bilan! Nicolas Sarkozy s'efforce de ne pas en parler, mais il est quand même le candidat sortant! Si la France est dans cet état, c'est bien à cause des gouvernements de droite dont il a été un membre éminent.
« Les Français ont à faire un choix de société »
Pourtant, il a séduit 31 % des Français...
La droite française a l'habitude de sombrer dans le populisme, de pratiquer la politique chauve-souris: « Je suis oiseau : voyez mes ailes ; je suis souris, vivent les rats » (pour reprendre La Fontaine). Cette droite est à la fois libérale et étatiste, européenne et d'un nationalisme étroit, compatissante dans le verbe et concrètement dure avec les faibles. Ce n'est pas nouveau et cela n'a pas vraiment convaincu, puisque ses deux adversaires principaux ont formulé le même constat et qu'ils ont obtenu au total un meilleur score que Nicolas Sarkozy. Elue présidente, Ségolène Royal comptera, pour réformer le pays, sur l'appui de tous. Elle aura également pour mission, et elle s'y emploie, à réconcilier la France et les Français (du « non » comme du « oui ») avec un projet historique, une Europe puissante et solidaire à la fois.
Est-ce à dire que Nicolas Sarkozy serait un danger pour la France ?
Je rejette cette formule, au nom d'une démocratie apaisée et parce que les Français ont à choisir entre deux personnalités capables. Ils ont à faire un choix de société. Or, nous avons besoin d'une autre conception de la relation entre l'Etat et le citoyen, entre le monde économique et les forces sociales, et aussi des relations des personnes entre elles. « Non » à l'hyper individualisme et « oui » à plus de fraternité, autant que cela est humainement possible.