Conférence de presse de Ségolène Royal sur le festival « Filmer le travail »

Publié le par Désirs d'Avenir Rueil

Mesdames, Messieurs, chers amis,


Je suis très heureuse de vous présenter aujourd'hui, avec ses organisateurs et tous ses partenaires, le premier Festival « Filmer le travail » dont la Région Poitou-Charentes est co-organisatrice. Il se déroulera du 3 au 8 novembre en divers lieux de Poitiers, dont la Maison de la Région. J'espère que ses projections, ses débats, ses expositions et toutes ses animations intéresseront un très large public car cette programmation de haute qualité, avec ses séances à 3 euros et ses conférences gratuites, est destinée à tous les citoyens.


Cocteau disait que le cinéma est « cette écriture moderne dont l'encre est la lumière ». Ce festival cinématographique éclaire de nombreuses facettes du travail contemporain et ses métamorphoses au cours des dernières décennies.


Sa sélection exceptionnelle d'oeuvres documentaires et de fiction évoque :

- les souffrances et les espérances liées au travail,

- ses humiliations et ses fiertés,

- ses formes nouvelles d'exploitation et d'aliénation

mais aussi ses luttes pour la dignité,

ses solitudes

mais aussi ses solidarités qui font entrevoir d'autres possibles

et, parfois, en montrent concrètement le chemin.


Comme ces ouvrières de Lip jadis filmées par Cinélutte.


Comme ces mineurs du Pays de Galles dont l'épopée est retracée 20 ans plus tard dans « Charbons Ardents ».


Comme aussi ces salarié(e)s de la CEPAM, dont je salue les représentants ici présents : ils et elles ont repris leur entreprise sous la forme d'une coopérative ouvrière de production. La Région est fière de les avoir aidés à sauver leurs savoir-faire et leurs emplois à Mauzé sur le Mignon, en prouvant qu'il est possible de travailler autrement et de s'affranchir de la financiarisation à outrance de l'économie.


D'un film à l'autre,

d'un récit à l'autre,

d'un témoignage à l'autre,

d'un style à l'autre,

vous ferez connaissance avec de multiples visages du travail :

dockers, caissières, cheminots, « femmes de l'aube et du balai » qui nettoient les tours et les bureaux, domestiques parfois réduites à un moderne esclavage, cadres écoeurés par un management qui prétend « gérer des objectifs, pas des personnes », infirmières en milieu rural et bien d'autres.


Ceux qui aiment leur métier et l'exercent avec joie.


Ceux aussi, salariés poussés à bout, qui n'y trouvent plus de sens et pourraient le dire à la manière de cette chanson triste de Miossec, « Les Chiens de paille » : « je n'en peux plus de cette vie-là, je craquerai avant la fin du mois ».


Vous y verrez comment l'industrie nucléaire externalise ses risques chez les sous-traitants.


Comment la précarité et la flexibilité bouleversent les cultures et les identités professionnelles.


Comment une industrie traditionnelle se lance dans une mondialisation incertaine.


Comment aussi des hommes et des femmes s'efforcent de résister à tout ce qui grignote et disqualifie leur honneur professionnel.


Comment des luttes collectives font obstacle à l'individualisation forcenée des relations de travail et s'opposent à des privatisations brutales, à l'insécurisation généralisée, à une organisation du travail pathogène.


Vous y verrez la lucidité des salarié(e)s, leur colère et leur humour, leurs résistances et la dignité opiniâtre d'un monde du travail multiforme s'incarnant dans des histoires de vie toujours filmés avec respect, talent et empathie.


Ce festival imaginé en Poitou-Charentes est une première en France et je suis heureuse qu'une fois encore, notre Région innove.


Parmi les nombreuses raisons qui nous ont poussés à en être partie prenante, permettez-moi d'en évoquer trois.


La première raison tient à l'importance du sujet – le travail dans tous ses états – qui correspond à un axe fort de mobilisation de la Région Poitou-Charentes à travers ses politiques de santé, de formation, d'accompagnement des salariés et des entreprises. Dès le début de la mandature, nous avons voulu prendre à bras le corps les questions de santé au travail et d'amélioration des conditions de travail. Françoise Mesnard, Vice-Présidente du Conseil Régional et médecin du travail ici présente, s'y est beaucoup impliquée.


Les orientations que nous mettons en oeuvre dans ce domaine, en liaison avec les organisations syndicales et les entreprises, en partenariat notamment avec l'Agence Régionale des Conditions de Travail et en nous appuyant sur un réseau de médecins du travail que nous avons constitué à l'échelle régionale (idée reprise depuis par d'autres Régions), nous les avons élaborées, précisées et enrichies grâce à l'organisation de deux forums régionaux Santé et Travail.


Le premier nous a permis de procéder à un état des lieux précis dont deux thèmes prioritaires ont émergé : le développement inquiétant des troubles musculo-squelettiques et la croissance alarmante de la souffrance psychique, conséquences directes de l'organisation dominante du travail et de l'insécurisation de l'emploi.


Le second nous a permis de mettre l'accent sur des actions concrètes dans lesquelles le renforcement du dialogue social est déterminant ainsi que la gestion prévisionnelle des compétences et des emplois, de sorte que les innovations technologiques soient des occasions de progrès et non de régression sociale.


Nous avons fait d'une approche collective de la prévention des maladies et des accidents professionnels – domaine dans lequel la France, qui bat tous les records de productivité individuelle, reste la lanterne rouge des pays développés – un axe fort de nos politiques en direction des entreprises.


Nous nous sommes également fixés un objectif ambitieux de Région « zéro pesticides » compte tenu de leurs dangers pour la santé des agriculteurs et des habitants. Je ne vais naturellement pas détailler ici toutes nos initiatives mais je les évoque pour vous dire à quel point les thèmes du festival « Filmer le travail » nous tiennent à coeur et nous mobilisent.


La deuxième raison qui a fortement milité pour l'implication de la Région dans cette belle manifestation, c'est l'importance que nous attachons à la mémoire industrielle et ouvrière du Poitou-Charentes.


Nous avons été, en 2007, la première Région à achever l'inventaire de notre patrimoine industriel et à mettre ce bien commun en partage, à travers des publications et sur Internet, offrant à toutes les curiosités la documentation ainsi amassée et les réflexions des chercheurs à son propos. Ce travail rendait justice aux hommes et aux femmes qui furent les acteurs de cette histoire industrielle, à leurs savoir-faire, à leur fierté professionnelle et à leurs luttes.


Nous avons voulu le prolonger par un inventaire des mémoires ouvrières, recueillies sous forme orale, écrite, filmée, afin d'en permettre, là aussi, la transmission à tous. Cette opération de grande envergure, à laquelle l'Espace Mendès France est associé, commence cette année avec la collecte des témoignages relatifs à la fermeture de la Manufacture d'armes de Châtellerault et à la vie des manuchards.


Mémoires d'hier, histoires d'aujourd'hui, tout se tient pour mieux comprendre ce qui a changé et ce qu'il reste à inventer. Car s'il est vrai, comme dit Aragon, que « c'est par le travail que l'homme se transforme », il est également vrai que la volonté humaine peut transformer le travail en une coopération créatrice de richesses, de sens et de valeurs, dans laquelle chacun et chacune puisse enfin s'accomplir.


La troisième raison qui a motivé l'engagement de la Région dans ce festival inédit, c'est l'originalité de sa démarche qui recoupe, elle aussi, des convictions qui sont les nôtres : permettre la rencontre de professionnels de l'image (cinéastes et photographes), de scientifiques de différentes disciplines (sociologues, historiens, économistes, anthropologues, ergonomes...) et d'acteurs du monde du travail, comme en témoigne la présence ici de délégués des salariés de New Fabris à Châtellerault, de la CEPAM et de Qualiphone, le centre d'appel de Jaunay Clan ainsi que de représentants des unions départementales et régionales des syndicats.


Tous et toutes ont des choses à dire et à partager sur ce qu'il en est du travail et de ses mutations, sur les manières d'en rendre compte et les images qui en témoignent. L'importance reconnue aux réalités vécues par les salariés et à leurs réflexions, la fécondité d'une approche scientifique décloisonnée et transdisciplinaire, ce parti-pris de croiser les regards, de mutualiser les questions posées par le travail et sa mise en récit, l'invitation des citoyens à prendre part à un débat public et démocratique sur une question aussi vitale et structurante que le travail, voilà aussi qui justifie amplement notre participation et sa traduction financière (89.000 euros) au titre du soutien que nous apportons au cinéma, à la recherche, à la mise à disposition de tous des connaissances et des oeuvres ainsi qu'au renforcement du dialogue social et du débat citoyen.


Depuis sa naissance, le cinéma a partie liée avec le travail. Que montre le premier film des frères Lumière, réalisé en 1895 ? Une sortie d'usine à Lyon. Il en existe trois versions dont deux auraient été tournées un dimanche, jour où les ouvriers et les ouvrières ne travaillaient pas et s'habillaient, pour aller à la messe, mieux que d'ordinaire. Ce petit film aurait donc pris avec la réalité du travail quelques libertés qui renvoient à des questions très actuelles sur les relations de la véracité et de la mise en scène dans le documentaire, oeuvre forcément construite mais où la légitime singularité du regard de l'auteur doit toutefois s'inscrire dans le respect de certaines règles éthiques. Vaste débat dont je ne doute pas qu'il sera aussi question durant cette semaine consacrée au travail tel qu'on le vit, le pense et le filme.


Le travail porte aujourd'hui tous les stigmates d'un modèle déshumanisant de développement et de management dont nous voyons à quel point, de la crise financière aux suicides de salariés broyés par la course exclusive à la rentabilité à court terme, il peut être individuellement destructeur et collectivement dangereux. Il est, bien sûr, des entreprises et des métiers où il fait bon travailler. Mais aussi beaucoup d'autres où règnent la brutalité des relations hiérarchiques et la démesure des exigences sans contreparties ni reconnaissance.


Je crois, moi, que le travail pensé autrement, organisé autrement et fondé sur d'autres valeurs peut être l'un des piliers de cette nouvelle « politique de civilisation » chère à Edgar Morin, que je me réjouis d'accueillir, avec Marceline Loridan, le 3 novembre prochain. Cette politique de civilisation, nous en avons débattu à Poitiers il y a une quinzaine de jours lors d'une passionnante Université internationale créée à son initiative. Je crois qu'elle doit être notre nouvelle frontière planétaire. J'ai pris l'engagement d'en relever les défis ici et maintenant, en Poitou-Charentes. Le cinéma nous y aide car il s'occupe, comme le disait Antonin Artaud, de « la peau humaine des choses », aiguisant nos sensibilités, enhardissant nos imaginations, fortifiant nos révoltes et, avec elles, nos raisons d'espérer et de vouloir qu'un autre monde du travail soit possible.


Je vous remercie et vous donne rendez-vous dans quinze jours pour ce festival qui décernera également, lors de sa soirée de clôture, cinq prix parmi les dix-huit documentaires en compétition.

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