Ségolène Royal : « J'ai beaucoup appris dans les épreuves »

Publié le par Désirs d'Avenir Rueil

Par Eric Mandonnet et Marcelo Wesfreid

 

Si elle doute, elle le cache bien. Dans ses petits bureaux parisiens de la région Poitou-Charentes, à deux pas de la gare Montparnasse, l'ancienne candidate à l'Élysée prépare la primaire socialiste. Cette fois, les sondages ne lui sont pas favorables. Et les circonstances ? Sans jamais citer le nom de Dominique Strauss-Kahn, elle parle des conséquences politiques de l'affaire. N'hésite pas à pointer ses différences avec Martine Aubry et François Hollande. Et attaque, sans s'encombrer de nuances, celui qui l'a battue en 2007, Nicolas Sarkozy.

 

La gauche peut-elle encore, aujourd'hui, se prétendre plus morale que la droite ?

Elle doit se battre pour le prouver. La moralité politique, c'est, pour la gauche, réduire les inégalités, refuser les connivences avec les intérêts particuliers, et tenir parole en ne grugeant pas les électeurs par des promesses fallacieuses, comme l'a fait le candidat de droite en 2007. Ce à quoi vous faites allusion relève d'un comportement individuel. Bien sûr, il vaut mieux être exemplaire dans sa vie privée et faire en sorte qu'elle soit cohérente avec sa vie publique. On ne peut pas cultiver les « vertus publiques », comme disait Montesquieu, et piétiner les vertus privées, traiter les femmes plus bas que terre, manquer de respect à sa famille. Et quand on a une responsabilité publique, on se doit d'être exigeant envers soi-même. Je veux réhabiliter les comportements décents, respectueux, courtois.

 

Comment éviter que la confrontation entre un homme socialiste blanc, riche, prêt à tout pour se défendre, et une femme noire, pauvre, immigrée, musulmane ne hante la gauche au cours des prochains mois ?

La justice est saisie. Et la vérité doit surgir. Le rôle de la gauche, c'est d'être auprès de ceux qui souffrent, avec des solutions efficaces et crédibles. Je peux vous garantir que quand je suis allée auprès des éleveurs qui sont au bord du gouffre, ils attendaient de moi des décisions et aucun ne m'a parlé de cette affaire. 

 

La gauche doit-elle clarifier son rapport à l'argent ?

Pourquoi liez-vous à nouveau le fait dont on parle à la gauche en général ? Ce n'est pas parce que tel ministre a dérapé dans des abus sexuels présumés que tous les gens du même bord sont pareils ! Non ! Alors pourquoi la droite insinue-t-elle l'équivalent ? Ce qui doit être clarifié, ce sont les comportements de pouvoir. Des personnalités agissent comme si elles étaient au-dessus des règles. Pas moins de sept ministres de Nicolas Sarkozy ont été démissionnés en quelques mois ! La droite est donc bien mal placée pour donner des leçons. Il faut que certains hommes de pouvoir, qui se servent au lieu de servir, se disent enfin que l'impunité, c'est terminé.

 

Etes-vous féministe ?

Oui, au sens où j'ai dû m'arracher à une condition pour avancer sur un chemin qui était loin d'être balisé. Et aussi parce que, encore aujourd'hui, les inégalités hommes/femmes criantes, et qui ne cessent de se creuser, font injure à la République. Par exemple, plus de 2 millions et demi de mères seules survivent au lieu de vivre. Et les violences faites aux femmes ne cessent d'augmenter. Vous ne croyez pas que le temps d'une femme présidente de la République est venu, pour que change vraiment le rapport au pouvoir ?

 

Le fossé s'agrandit entre les classes populaires et les classes moyennes. Comment le PS peut-il le surmonter ?

L'écart se creuse surtout, selon moi, entre les classes supérieures, qui se sont enrichies sur tous les plans (salaires, rentes, transmission du capital), et les autres, qui se sentent déclassées ou qui basculent dans la précarité. Aujourd'hui, un tiers des ménages surendettés sont des retraités à petit salaire, qui ont travaillé toute leur vie et qui étaient naguère protégés. C'est pour cela qu'une réforme fiscale s'impose, afin que le travail soit moins taxé que le capital. Je lancerai tout de suite les états généraux de la fiscalité.

 

Les socialistes espagnols sont désemparés par le mouvement des Indignés. Le PS français est-il à l'abri d'un pareil décalage avec la jeunesse ?

Ce que je remarque, c'est que les Indignés, dans leur manifeste, réclament de la démocratie participative ! Ils ne se reconnaissent plus dans le pouvoir en place, qui ne donne aucune perspective. En France aussi, les jeunes, quand ils voient l'Assemblée nationale, ne se sentent pas représentés. La leçon espagnole vaut pour tout pouvoir en place.

 

Faut-il s'adapter à la mondialisation ou la combattre car elle est une « escroquerie », comme le préconise Arnaud Montebourg ?

Je suis assez d'accord avec le principe de « démondialisation » porté par Arnaud Montebourg. La mondialisation doit être dominée, pour que ce soit du gagnant-gagnant et que les pays riches changent leur mode de développement et permettent celui des pays plus pauvres. Par exemple, dans une bonne mondialisation, le Nord aurait équipé le Sud en énergie solaire, plutôt que de lui vendre un mode de développement reposant sur les énergies fossiles, qui l'enfonce dans la pauvreté. Et les matières premières issues des pays pauvres ne seraient pas englouties dans un système où la finance domine tout, au point que la spéculation internationale frappe même les productions alimentaires, dans une dramatique inertie de la gouvernance mondiale.

 

Jusqu'où aller dans l'instauration de barrières douanières ?

Il faut une politique protectionniste, avec des règles communes au niveau européen, ce que font très bien les États-Unis. Mettons des barrières sélectives sur des filières industrielles confrontées à des pays où les salaires sont vingt fois moindres et où les normes environnementales sont inexistantes. C'est aussi dans l'intérêt des pays pauvres, sinon leur modèle de développement ne changera pas et leurs salariés ne s'en sortiront pas.

Mais je remarque que les dirigeants des institutions internationales ne bougent pas. Pour lutter contre le conservatisme des pouvoirs, je propose des changements de responsables plus fréquents. Regardez Jean-Claude Trichet à la Banque centrale européenne ou Jose Manuel Barroso à la Commission de Bruxelles: ils sont en place depuis trop longtemps et, pour durer, il ne faut rien changer.

 

La non-augmentation des impôts est-elle pour vous une règle ?

Oui. Je suis contre la fuite en avant de la fiscalité et je l'ai prouvé dans ma région. Je suis d'ailleurs la seule à ne pas avoir augmenté les impôts depuis sept années, car j'ai eu le courage de mettre un terme à certaines dépenses moins utiles pour redéployer les moyens.

 

Sur le plan économique, qu'est-ce qui vous distingue de Martine Aubry ou de François Hollande ?

Voilà précisément un point qui me distingue de François Hollande, qui a annoncé une hausse des impôts. Et je veux aller plus loin que le projet du PS, en autorisant l'entrée des régions dans le capital des entreprises industrielles aidées, comme je l'ai fait pour Heuliez. Autre exemple, avec moi à la tête de l'État, une entreprise stratégique comme Yoplait n'aurait jamais été vendue aux financiers américains, alors que nos paysans se meurent. La banque publique d'investissement pour les PME, que j'ai fait inscrire dans le projet du PS, sera immédiatement mise en place.

 

Que faire face à l'arrivée à Lampedusa d'un nombre croissant de migrants issus des révolutions arabes ?

C'est un sujet majeur et je suis prête à tous les débats, même avec le Front national. Toutes les images de migrations incontrôlées inquiètent. Est-ce que la réponse de la droite est à la hauteur ? Non ! Elle a été complice des régimes antérieurs de l'autre côté de la Méditerranée. La réponse de la gauche ne doit être ni celle du laxisme ni celle des régularisations massives. La solution, et elle peut être rapide, c'est un accompagnement efficace de la reprise économique.

 

Réduire l'immigration professionnelle légale, est-ce une mesure de bon sens dans la situation actuelle, ainsi que le veut Claude Guéant ?

C'est un effet d'annonce - chaque jour, Claude Guéant fait une déclaration qui vise à récupérer les thèmes du Front national. Aujourd'hui, quand un secteur professionnel ne manque pas de main-d’œuvre, l'immigration n'est pas autorisée. Mais il y a des employeurs qui font venir des immigrés dans le seul but de moins payer les salariés. Que Claude Guéant s'adresse au Medef !

 

L'échec scolaire des enfants d'immigrés est-il une réalité, comme l'a aussi avancé le ministre de l'Intérieur ?

D'abord, ce n'est pas à cause des enfants d'immigrés que le système scolaire français vient d'être sévèrement rétrogradé. Mais disons les choses clairement : la question est celle de la pauvreté et de la précarité de certaines familles. Face à cela, 60 000 suppressions de postes, c'est une catastrophe nationale. Ne disons pas aux immigrés : « C'est votre faute ! », mais « Voici comment nous allons faire pour que vous réussissiez. » La France a besoin de tous ses enfants.

 

Savez-vous gré à Nicolas Sarkozy de l'action qu'il a entreprise en Libye ?

Oui. C'était une action nécessaire, que j'aurais aussi menée, même si, au départ, du temps a été perdu.

 

Le PS vous semble-t-il plus au clair qu'en 2007 sur la sécurité ?

Certainement. Quand je parlais d'« ordre juste », j'entends encore les cris d'orfraie que cela suscitait. Ce n'est plus le cas. Mais il faudra aller plus loin que ce que dit le projet du PS: je ferai des propositions.

 

Quand un ministre mis en cause doit-il démissionner ?

Dès qu'il est perturbé pour remplir sa fonction par la lourdeur d'un risque de condamnation, il doit prendre du recul, puis revenir s'il est blanchi. Le bon critère, c'est l'efficacité du travail et la crédibilité du ministre. Au chef du gouvernement de décider.

 

Faut-il baisser le salaire du président ?

Tout ce qui a choqué les Français devra être remis à plat. Ce qui est important, c'est le train de vie dans son ensemble. L'avion personnel que s'est fait aménager Nicolas Sarkozy, était-ce bien moral ? Il faudra procéder à un état des lieux. Mais ce qui me paraît encore plus grave, c'est la connivence avec les puissances d'argent, qui se sont enrichies pendant que tous les autres souffrent de la crise.

 

Qu'est-ce qu'avoir « envie » d'être présidente de la République ?

Ma détermination est totale, tranquille, concentrée, solide. Je pense que je ferai pour la France une très bonne présidente, je m'en occuperai bien, les Français seront apaisés, le travail sera protégé, les PME auront les moyens de se développer, les institutions fonctionneront bien, notre pays deviendra une grande puissance écologique, le pouvoir sera rendu au peuple français. Les gens seront au clair avec les droits et les devoirs de chacun. Un euro dépensé sera un euro utile. Les valeurs morales et familiales seront défendues, la dignité des femmes sera garantie. Et la France retrouvera ses principes d'égalité et de fraternité. Chacun saura qu'il ou elle peut réussir et que le pays a besoin de tous. Les réformes radicales que j'ai évoquées plus haut seront faites rapidement.

 

François Hollande est-il pour vous un candidat « normal » ?

Il a le droit de se définir ainsi. Est-ce suffisant ?

 

Une chose qui pourrait vous inspirer chez Nicolas Sarkozy ?

Vraiment, je ne vois pas. Je suis aux antipodes de tout ce qu'il est, de tout ce qu'il fait. Il va nous dire trois choses. Un : « C'est la faute de la crise ! » Mais il n'a mené aucune politique pour en contrecarrer les effets. Deux : « ça aurait été pire avec tout autre que moi ! » C'est comme un piéton que vous avez renversé, dont vous avez écrasé les jambes et à qui vous dites : j'aurais pu vous tuer ! Trois : qu'il a changé et qu'il va réparer ses erreurs. C'était déjà l'argument de Giscard en 1981 !

 

Pourquoi avez-vous perdu en 2007 ?

Je regarde non pas en arrière, mais en avant. J'ai beaucoup appris dans les épreuves. Je répondrai à votre question quand j'aurai gagné, en 2012. Promis !

Source : l’Express

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