Ségolène Royal, sur RTL, le 19 juillet 2011 : « il faut accélérer le retrait d’Afghanistan »
Philippe Corbé : Bonjour, Ségolène Royal.
Ségolène Royal : Bonjour.
Cérémonie d'hommage national, à 11 heures aux Invalides, pour les sept soldats français tombés ces derniers jours en Afghanistan. Si vous êtes élue présidente, Ségolène Royal, est ce que vous allez accélérer le retrait des troupes françaises ?
Vous comprendrez qu'il y a un temps pour tout. Aujourd'hui nous sommes dans un jour de cérémonie nationale, d'hommage national rendu aux soldats que la France a perdus en Afghanistan. Soixante-dix soldats français, je le rappelle, sont morts depuis 2001 dans ce pays. Donc, il y a un moment de solidarité avec les familles, un partage avec elles de cette grande tristesse, de cette désolation et de cette souffrance aussi par rapport à ces jeunes qui ont été fauchés dans la fleur de l'âge, en particulier, un jeune qui est issu de ma région.
Et donc, je crois que le moment aujourd'hui, n'est pas aux polémiques politiques. Et en même temps, il est clair que le chef de l'État, le chef des armées donc, le prochain, la prochaine présidente de la République aura à prendre...
... le prochain président, la prochaine présidente ?
.. Aura à prendre des décisions très importantes. De quoi s'agit-il ? Je crois qu'aujourd'hui on peut dire très clairement que la France ne devrait pas être en Afghanistan et que le retrait aurait dû commencer en 2008, comme les socialistes l'avaient demandé. Pourquoi ? Parce que le président de la République actuel s'était engagé pendant la campagne présidentielle à se retirer d'Afghanistan et à peine élu, il a fait le contraire de ce qu'il avait dit en cédant...
C'est pour cela que vous avez dit qu'il « s'est fourvoyé » ?
Laissez-moi terminer, parce que c'est un sujet grave... En cédant à la pression de Georges Bush, nous nous étions élevés contre cette décision en mars 2008, nous avions réclamé un débat parlementaire, parce qu'il est important que dans une démocratie, la politique de défense soit débattue avec la majorité et également avec l'opposition, et nous avions, dès septembre 2008, demandé un calendrier de retrait. Si nous avions été entendus, à ce moment-là, au delà des clivages politiques, d'ailleurs, les français, les soldats français n'auraient pas perdu la vie en Afghanistan. Voilà la vérité des faits.
Est ce que ça ne serait pas une retraite précipitée, et donc finalement donner raison aux talibans, laisser penser que nous avons perdu cette guerre, et que finalement ces Français sont morts pour rien ?
Mais vous savez, le sommet de l'Otan qui s'est tenu à Lisbonne du 19 novembre au 20 novembre 2010, a décidé, les États membres ont déclaré que la coalition entamerait le transfert de la sécurité aux forces afghanes, à partir de 2011. Ce n'est d'ailleurs pas nouveau, puisque les Canadiens, par exemple, se sont déjà retirés. Donc, ce qui compte, vous avez raison, ce sont les conditions de ce dégagement, c'est-à-dire le transfert de l'autorité aux responsables afghans.
Il ne faut pas le faire d'une manière précipitée ?
Il faut le faire de façon responsable.
Donc fin 2012, ce serait donc trop tôt, ou mai 2013 comme le dit François Hollande ou Martine Aubry, ce serait peut-être trop tôt ?
Non, je pense qu'il faut tenir cette échéance. Ils ont raison de dire qu'il faut raccourcir ce délai, passer de 2014 à 2013. En tous cas ce qui compte, indépendamment de la date précise, c'est le sens des responsabilités par rapport aux conditions du retrait, pour pouvoir transférer l'autorité civile et militaire aux Afghans qui sont sur place. Mais ce qu'il faut aussi, disons très clairement les choses, c'est qu'aujourd'hui il y a un chaos économique et social, que jamais le trafic de drogue n'a été aussi important en Afghanistan, que le pays est mis en coupe réglée par les seigneurs de la guerre. Et donc les conditions aussi du développement économique, social, éducatif de ce pays n'ont pas été clairement mises en place. Et c'est cela qu'il faut revoir pour que le peuple afghan puisse accéder à la liberté et à la souveraineté.
Ségolène Royal, tout autre sujet qui marque l'actualité : Jean-Louis Borloo, écrit au président de la République pour qu'il convoque le congrès afin d'informer les parlementaires sur la crise de la dette et de la Zone euro. Est ce que vous êtes favorable à une convocation du Congrès ?
En tous cas, cette demande prouve à quel point le déficit démocratique est fort dans le fonctionnement des institutions françaises. Et c'est vrai que sur les grands sujets, on vient de le voir sur l'Afghanistan, vous l'évoquez sur la question de la dette, de la crise économique en France, moi je crois que ce déficit démocratique est aussi une des raisons de la crise économique et sociale. Parce que lorsqu'un pays ne se rassemble pas autour des objectifs majeurs qui conditionnent sa survie économique et une juste répartition des ressources, à ce moment-là, en effet, les décisions ne sont pas prises et on voit un gouvernement aux abonnés absents, on voit un président de la République aux abonnés absents, où est le président de la République ?
Il est en retrait, c'est sa nouvelle stratégie…
Oui, mais c'est assez grave, si vous voulez, parce que si l'on veut surmonter la crise de l'euro, si l'on veut que l'Europe retrouve sa puissance, alors il faut que les chefs d'États s'engagent. Et que voit-on aujourd'hui ? On voit un ministre des Affaires européennes qui a changé cinq fois. Est ce que vous en connaissez le nom ?
Jean Leonetti.
Voilà, et est-ce que les Français le connaissent ?
Je ne suis pas certain.
C'est révélateur, où sont les grands couples franco-allemands charismatiques, qui ont fait qu'à chaque fois que l'Europe a eu des difficultés, elle a surmonté ses problèmes, que ce soit le couple De Gaulle - Adenauer, que ce soit le couple François Mitterrand - Helmut Kohl. Où est aujourd'hui le couple franco allemand ? Le président de la République est aux abonnés absents. Et cela est extrêmement grave. Et pourquoi est-il aux abonnés absents ? Parce qu'il s'occupe prioritairement de sa future campagne présidentielle. Voilà la vérité.
Justement Ségolène Royal, si vous êtes élue présidente de la République en mai prochain, vous formerez un couple franco-allemand avec Angela Merkel ; et Angela Merkel lors de sa première rencontre vous demandera de respecter les 3 % de déficit du PIB, cette promesse de réduction du déficit qu'a fait Nicolas Sarkozy en 2013.
Mais elle aura raison, mais je lui demanderai en contrepartie aussi à elle, Angela Merkel, de faire des efforts car si la France se fixe cet objectif.
Ça va coûter cher pour la respecter !
Cela va coûter cher. Ca va nous demander une économie de 40 milliards d'euros. Quand on sait que le montant des niches fiscales créées par la droite est de 70 milliards d'euros, quand on se rappelle, disons-le quand même, que lorsque Nicolas Sarkozy a été élu, le déficit budgétaire était d'à peine 50 milliards d'euros et qu'il est aujourd'hui de 100 milliards d'euros, on voit quelle est la situation dramatique de la France, à cause d'une mauvaise gouvernance et d'une mauvaise politique. Et donc, je demanderai en contrepartie à Angela Merkel aussi, de faire des efforts sur la relance économique commune, sur la mise en place d'un ministère franco-allemand commun du développement économique, sur la réforme bancaire pour passer des discours aux actes. Car enfin, si nous sommes dans cette situation actuelle, c'est parce que, comme le dit Jacques Attali, il y a eu une lâcheté de nos dirigeants. Pourquoi une lâcheté de nos dirigeants ? Parce qu’en 2008, nous savions déjà exactement quel était le diagnostic et quelles étaient les décisions à prendre : il y en a trois : interdire aux banques la spéculation. Est-ce que ça a été fait ? Non, ça n'a pas été fait. Et moi, je le ferai avec Angela Merkel, en mettant en place des règles très strictes sur le fonctionnement bancaire.
La deuxième décision qui avait été prise, c'est de faire en sorte, qu'il y ait plus de justice dans la répartition des efforts. Aujourd'hui, est-il normal que les grandes fortunes se soient encore enrichies, alors que la mondialisation se fait toujours sur le dos des mêmes, c'est-à-dire les classes moyennes et les catégories populaires ?
Et la troisième décision qui avait été décidée en 2008 et qui n'a pas été mise en place, c'est la création d'un fonds souverain européen pour financer la relance économique et notamment dans le domaine des énergies vertes et de la croissance verte.
Voilà donc les trois décisions très claires qui avaient été décidées en 2008, mais la faiblesse et la lâcheté, le désengagement de nos dirigeants a fait en sorte, parce qu'ils sont en connivence avec les pouvoirs de l'argent, avec les pouvoirs bancaires, et qu'ils n'ont pas eu la force, la volonté politique, l'abnégation politique d'imposer à leurs amis, des règles strictes qui auraient protégé les Français contre la crise économique. Eh bien moi, tout cela j'aurai le courage politique de le faire.
Ségolène Royal, vous avez lancé dimanche soir, un appel au rassemblement de l’extrême gauche aux centristes, y compris jusqu’aux gaullistes. Ça a un peu surpris tout le monde même si vous aviez, dans le passé, prononcé des paroles similaires. Est-ce que ça veut dire que vous faites de l’œil à Dominique de Villepin ?
Non, parce que je parle aux noms de valeurs.
Vous parlez aux électeurs et pas aux représentants ?
Exactement, je parle au nom de valeurs et des efforts que la France aura à accomplir en 2012 lorsque, je l’espère, la gauche aura gagné l’élection présidentielle…
Et vous voulez qu’ils viennent voter aux primaires socialistes, ces sympathisants gaullistes ?
Écoutez, je vous réponds très clairement…
Allez-y !
Tous ceux qui veulent que Nicolas Sarkozy soit battu en 2012 et qui veulent que la France enfin puisse retrouver le chemin du développement économique, de la croissance, du bien-être, tous ceux qui estiment que depuis 4 ans et même depuis 10 ans, puisque la droite est au pouvoir depuis 10 ans, elle a fait beaucoup de mal à notre pays, tous ceux qui pensent que les fondamentaux de la République sont aujourd’hui gravement fragilisés, que ce soit l’éducation nationale, la santé publique, la sécurité, la laïcité, la solidarité, tous ceux-là doivent venir, en effet, aider la gauche…
Et voter aux primaires socialistes ?
Bien sûr, et voter pour celui ou celle qui sont le plus à même de battre Nicolas Sarkozy, et je pense que je suis la plus à même de battre Nicolas Sarkozy. Pourquoi ? Parce que j’ai l’expérience d’une campagne présidentielle, que j’ai des convictions fortes, que je considère en effet qu’il faut faire le rassemblement non seulement des socialistes, mais aussi des écologistes, de l’extrême gauche, des centristes humanistes, jusqu’aux gaullistes. Pourquoi ? Parce le travail que nous aurons à faire, l’effort que nous aurons à fournir pour redresser le pays, sera aussi important que celui qui a été fait par la vaste coalition de l’après-guerre du Conseil National de la Résistance. Le général de Gaulle disait : « il faut viser haut et se tenir droit ». Aujourd’hui, on en est loin, car le pouvoir sarkozyste qui nous gouverne ne vise pas haut et ne se tient pas droit.
C’est donc l’appel du 19 juillet lancé par Ségolène Royal, aux gaullistes ce matin, sur RTL…