Sans papiers de Lille : "On risque de retrouver un mort sous une bâche"

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Régis Garrigue, du Samu lillois, dénonce le sort des sans-papiers en grève de la faim.
Par Eric Favereau
Le Dr Régis Garrigue est médecin urgentiste. Il travaille au Samu de Lille. Ce n’est pas dans ses habitudes de parler publiquement. Mais là, depuis l’expulsion de la Bourse du travail, le 1er août, des sans-papiers en grève de la faim depuis le 15 juin, ce qu’il voit l’inquiète au plus haut point.
 
Pourquoi cette inquiétude ?
Vu la situation éclatée, sans repères, j’ai peur qu’un jour on arrive avec une ambulance du Samu et que l’on découvre une personne sans vie.
Aujourd’hui, à Lille, les sans-papiers en grève de la faim sont précarisés. Ils sont certes libres, mais dispersés, invisibles. Après avoir été évacués il y a deux semaines par la police de la Bourse du travail où ils s’étaient regroupés, on les voit errer, sans abri et sans aucun suivi médical, alors qu’ils risquent, après bientôt soixante jours de grève de la faim, de graves séquelles. Cet isolement met leur vie en danger. Seuls les hôpitaux, les urgences, le Samu et, plus généralement, le service public hospitalier leur permettent de maintenir un accès aux soins d’urgence. Mais ce n’est pas suffisant.
 
Que peuvent faire les services d’urgence ?
Depuis quelques jours, nous sommes confrontés à plusieurs cas de figure. Parfois, ils arrivent en groupe, de 5 à 10. Ils sont examinés, et hospitalisés s’il y a signe de gravité. Et les autres, on leur dit d’aller voir leur médecin, mais ils n’en ont pas. Vendredi soir, par exemple, nous avons été appelés. Là, on découvre qu’ils sont plus d’une vingtaine. Ils sont transis de froid. On ne peut pas les examiner sous la pluie. Ils ne veulent pas aller aux urgences. Ils restent sur place, mais personne ne les aide.
D’autres, à l’inverse, viennent à l’hôpital. Et ils restent, campent dans le hall des urgences, et peu après la sécurité vient pour les déloger. Personne ne les connaît, ils squattent un peu partout, personne ne les suit, et je suis sûr qu’un grand nombre d’entre eux sont mal informés des conséquences sur leur santé de leur grève de la faim.
 
Mais que font les médecins de ville et les associations humanitaires ? 
Nous sommes au mois d’août, les médecins de ville sont tous, ou presque, en vacances. Et la situation est d’autant plus lourde que, ces derniers jours, nous avons connu une météo d’hiver, extrêmement pénible pour ceux qui n’ont pas de toit. De fait, il n’y a personne, et les associations ne sont pas là. Où sont-elles passées ?
Où sont passées les associations humanitaires ? Où sont ceux qui organisent de grandes campagnes nationales coûtant des millions d’euros à renfort de stars et de médias ? En ce moment, les sans-papiers grévistes de la faim de Lille sont aussi des «pauvres», des «SDF», des «exclus de l’accès aux soins», des «oubliés», des «malades», des «sans-droits». Ils ont besoin d’aide. Faut-il être à Paris pour bénéficier d’une toile de tente et de la mobilisation de soignants bénévoles ?
 
Quel est votre regard de médecin, devant cette grève de la faim? 
Soyons clairs, aucun médecin ne peut cautionner ni même soutenir la grève de la faim comme modalité d’action et de révolte. Mais les associations médicales humanitaires qui soutiennent la cause des migrants sans papiers, des précaires et des exclus doivent rapidement prendre la mesure de ce qui se passe à Lille et leur apporter au plus tôt une aide indépendante et professionnelle. Car, aujourd’hui, le Samu et les urgences des hôpitaux ne peuvent plus répondre. Ils sont sollicités des dizaines de fois par jour pour leur venir en aide. Ces derniers sont pris en charge avec la même attention et rigueur que tous les patients qui font appel à nous. Mais ils arrivent dans des services hospitaliers en suractivité qui «débordent» de malades.
 
Que proposez-vous ? 
Je crois qu’il faut que le préfet accepte un point médical, identifié, dans un lieu qui soit respecté, et qu’il y ait des associations qui viennent et qui suivent les grévistes de la faim, car, autrement, on va retrouver un mort sous une bâche.
Je crois qu’il faut que la préfecture comprenne qu’il faut favoriser leur regroupement auprès d’une structure humanitaire de soins indépendante.
Les comités de soutien et la préfecture doivent au plus vite se mettre d’accord sur une sortie de crise négociée. Les urgences et le Samu doivent retrouver leur rôle de prise en charge des urgences vitales. Chacun doit retrouver sa place, assumer ses responsabilités et sortir des logiques de groupe.
 
Source : Libération
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