Pour une Gauche ouverte ! par Gilles Savary
Finalement le sinistre Congrès de Rennes de 1990, loin d'avoir été une anecdotique foire d'empoigne, aura marqué, plus durablement qu'il n'y paraît, l'orientation et les mœurs du Parti socialiste.
Implicitement, le Congrès de Rennes a été celui de la « rente mitterrandienne », c'est-à-dire du principe selon lequel François MITTERRAND aurait définitivement inscrit le Parti socialiste dans une culture de gouvernement lui promettant le pouvoir, au moins par alternance régulière.
Ce postulat, qui s'est vérifié de 1981 à 1997, a transformé le Parti socialiste en parti d'investitures, essentiellement voué à la conquête du pouvoir interne et aux rivalités de leadership. D'où l'extraordinaire et inquiétante arrogance qui amène, aujourd'hui encore, nombre de ses leaders à considérer que l'élection présidentielle de 2007 était « imperdable ».
C'est pourtant à ce même postulat, érigé en croyance éthéré, que l'on doit l'invraisemblable inversion du calendrier électoral, qui offre aujourd'hui à Nicolas SARKOZY un régime d'absolutisme présidentiel taillé sur mesure pour « l'imperdable » élection présidentielle de Lionel JOSPIN en 2002 !
Non seulement nul ne songe à faire crédit à Ségolène ROYAL d'avoir évité à la Gauche l'humiliation du 21 avril 2002, mais il se trouve même parmi ceux qui en ont été les acteurs directs, des voix impudiques pour lui reprocher avec véhémence d'avoir fait le même score que Lionel JOSPIN au second tour de l'élection présidentielle de 1995, avec tout de même 2,6 millions de voix en plus.
La crise délétère que traverse le Parti socialiste, malgré son indéniable et inespéré sursaut électoral au second tour des élections législatives du 17 juin dernier, tient précisément à cette singularité qui récuse à Ségolène ROYAL en 2007 le leadership que le même score accordait à Lionel JOSPIN en 1995.
Que Ségolène ROYAL ait sa part de responsabilité dans la défaite présidentielle découle certes de son imprescriptible statut de candidate des socialistes et de la Gauche, mais que les socialistes l'y réduisent à ce point procède de l'obscurantisme d'un tribunal d'inquisition.
La défaite de la Gauche en 2007 ressemble, sur le théâtre politique, à « l'étrange défaite » militaire de 1940 que décrivait Marc BLOCH : celle d'une armée française qui a affronté la guerre de mobilité des Allemands avec les meilleurs généraux français de la guerre de position de 1914. En d'autres termes, toutes polémiques bues, le Parti socialiste serait mieux avisé de se pencher sérieusement sur les causes collectives de sa défaite, que de s'égarer dans l'indécent règlement de comptes personnel auquel donne lieu la pitoyable rentrée littéraire qu'il donne en spectacle.
Espérons ardemment qu'une fois les rancœurs de la défaite digérées, une réflexion plus sereine et plus approfondie, permettra d'en pousser l'analyse sans tabou ni interdit, dans toutes les dimensions de sa complexité.
Pour autant, s'il fallait identifier une cause essentielle à cette déconvenue électorale, outre celles non négligeables qui tiennent au changement de stratégie de la Droite vis-à-vis de l'électorat du Front national et à la capacité négligée de Nicolas SARKOZY d'unifier son camp, on la trouverait dans le confinement conservateur de la Gauche française à une époque qui lui donne un sérieux « coup de vieux ».
Il est devenu commun de faire le constat que la Gauche et en premier lieu le Parti socialiste, ont abordé la première grande consultation électorale du XXIe siècle avec des réponses et des recettes du XXe. Malgré ce que cette formule a de lapidaire et donc d'excessif, il n'en reste pas moins que la Gauche française reste profondément imprégnée de deux traits de culture qui ne trouvent plus le même écho dans l'électorat :
- Le premier tient à sa tradition tribunitienne, qui procède par injonction idéologique, porte une vérité et une vision du monde anciennes, élaborées in vitro au sein de l'appareil, conçu comme une avant-garde éclairée.
Force est de constater qu'en face, la société, mieux informée, désintermédiée par internet et ses multiples développements, s'est insensiblement émancipée des mots d'ordres et des consignes d'appareil.
Aujourd'hui, militants et leaders du Parti ne peuvent plus éluder le constat d'une volatilité sans précédent de l'électorat, qui accorde sa voix en fonction des réponses qu'il attend de ses élites, plutôt que d'une fidélisation idéologique stable et pérenne. C'est précisément parce que les réponses de Nicolas SARKOZY sont apparues, à tort ou à raison, plus crédibles, qu'il a été élu. Là encore, le Parti socialiste s'abuse à considérer qu'il y aurait encore des « domaines réservés » à la Gauche ou à la Droite, quand l'électorat n'accorde plus que des primes à la crédibilité des solutions qui lui sont présentées. Il ne s'agit pas tant d'une dérive individualiste que d'un degré supérieur de lucidité et d'information politique.
- Le second tient à son impénitente arrogance messianique, qui a vu progressivement les socialistes français s'isoler sciemment des évolutions et réflexions des partis frères, au nom de son intime conviction qu'il possédait la vérité de Gauche, la seule concevable, pure, lucide et promise à rallier les peuples du monde contre les forces du libéralisme globalisé.
On n'a pas mesuré combien les socialistes français se sont condamnés à une dangereuse consanguinité quand ils ont claqué la porte sans ménagement à la réflexion novatrice à laquelle les invitaient le Chancelier allemand Gerhard SCHRÖDER et son Ministre des Affaires étrangères Joschka FISCHER en 1999 et 2001.
Ainsi, dans un monde de plus en plus ouvert et internationalisé, où même la Chine communiste s'est engagée sans vergogne dans un pragmatisme qui ébranle le monde, le Parti socialiste et la Gauche française ont continué immuablement à professer des recettes nationalo-centrées, au nom d'un mythe héroïque de « résistance ». Evolution à la PCF imprégnée d'un incurable romantisme révolutionnaire, certes respectable, mais qui, alors, doit envisager et tolérer la défaite dans l'honneur et le désintéressement des causes suprêmes.
Parmi toutes les raisons de la défaite, qui, espérons-le, ne manqueront d'être identifiées, cette suffisance revendiquée de la Gauche française est probablement la plus préoccupante parce qu'elle procède d'une culture historique, qui fut jadis féconde et qu'il convient désormais d'accorder au nouveau contexte intérieur et extérieur de notre époque.
Un tel constat emporte une nécessité : celle d'envisager la refondation de la Gauche et du Parti socialiste français, non pas entre nous, forts de nos certitudes, arc-boutés sur nos nostalgies et sur la sociabilité sectaire de nos féodalités internes, mais en ouvrant résolument nos portes et fenêtres sur la société telle qu'elle est, et sur le monde tel qu'il s'impose à nous.
Cela suggère qu'il n'y aura pas de refondation véritable du Parti socialiste et, au-delà, de la Gauche française, sans qu'ils s'assignent une franche et sincère capacité d'écoute des Français, et consentent à se nourrir des expériences et des réflexions des Gauches européennes.
Le cycle classique de Conventions et de Congrès que l'on nous prépare, s'il vise à être véritablement utile à la Gauche et à la mettre en situation de séduire à nouveau le pays, ne peut plus être essentiellement tactique, mais doit s'ouvrir, non seulement aux nouveaux militants dont certains souhaitent déjà ostensiblement provoquer l'écœurement et l'hémorragie, mais aussi à l'ensemble de la société française.
Pour nourrir sa réflexion et son projet, et les départir de l'impitoyable concurrence des carriérismes qui sapent la Gauche depuis le départ de François MITTERRAND, le Parti socialiste doit accompagner ses futures étapes de réflexions internes, de forums et de cahiers de doléances citoyens, pour déboucher sur des Etats Généraux populaires véritablement mobilisateurs et refondateurs.
C'est à ce prix d'une refondation immergée dans la société française mais aussi ouverte aux réflexions et expériences de nos camarades étrangers, que nous construirons de nouvelles réponses de Gauche aux nouveaux questionnements de notre époque.
Gilles SAVARY
Vice-Président de la Commission des Transports et du Tourisme
Député au Parlement européen (PSE)