Des personnalités expliquent pourquoi elles ont signé la pétition contre les tests ADN
Isabelle Adjani actrice
« Une sorte de purification par la race »
Etant moi-même une espèce de produit de sangs mêlés, je ne pouvais m’abstenir de signer cette pétition. Au nom de la dignité humaine. On ne peut pas légaliser la peur, pour ne pas dire la terreur. Je ne veux pas croire qu’on puisse envisager cette sorte de purification par la race, ni même croire que ça puisse exister, même si je sais bien que techniquement, c’est possible. Sinon, où va-t-on ? Dans une société comme celle qui est décrite dans le film Bienvenue à Gattaca, film terrifiant et magnifique où l’on voit, sur le principe d’une sélection par le test ADN, l’édification d’une société de surhommes et surfemmes dans le « meilleur des mondes ».
François Bayrou président du Modem
« Quelque chose d’essentiel est en jeu »
Par principe, je ne signe jamais de pétition. La seule exception avant celle-ci fut celle sur les prisons. Je donne ma signature contre les tests ADN car quelque chose d’essentiel est en jeu. Premièrement, il s’agit de ramener à la biologie et à la génétique la relation humaine la plus précieuse qu’est la relation familiale. Or, il y a beaucoup d’enfants qui s’épanouissent dans le cercle de famille sans être pour autant les descendants biologiques de leurs parents. Par humanisme, notre vision de l’homme est que le lien familial ne peut se réduire au seul lien génétique. Deuxièmement, il s’agit de l’installation de mécanismes de recours à la génétique dans la régulation de problèmes de société. Troisièmement, on considère que l’immigré doit relever pour sa vie de famille de mécanique biologique que pour l’instant on ne songe pas à imposer aux citoyens français.
Charles Berling acteur
« On ne ferait pas ça à une famille française »
J’ai juste un truc à dire. On ne ferait pas ça à une famille française. Si c’est la loi du sang qui prime, c’est tout simplement terrifiant. Qu’est-ce que c’est une famille aujourd’hui? On le sait bien: des compositions, des recompositions. Si le président Sarkozy tient tant à ces tests ADN, il n’a qu’à les appliquer à sa propre famille.
Stomy Bugsy rappeur
« Une boucherie dans les familles »
Ce projet de loi nous ramène aux heures les plus sombres de l’Histoire, avec les juifs. Un test ADN, normalement, on le fait pour les assassins. Il faut aussi savoir qu’en France 8 % des enfants naissent d’un adultère. Alors, on veut quoi, être responsable d’une boucherie dans les familles ? Même Pasqua, qui n’est pas réputé pour faire dans la dentelle, a critiqué ce projet de test ADN. Sarkozy a le don pour faire sortir le racisme en chacun.
Marie Darrieussecq écrivaine
« Un flicage généralisé »
Ce qui m’a choqué, c’est cette idée dingue que la famille serait biologique. Il me semblait qu’on avait évolué là-dessus, que la famille, c’était aussi l’adoption, sans parler de mes convictions sur le droit des homosexuels à adopter. Pour moi, la famille ce n’est pas la nature. Je ne vois pas pourquoi la France contreviendrait à cette idée dès lors qu’il s’agit d’immigration. Cet amendement est un symptôme d’époque, celui d’une atmosphère de flicage généralisé qui va de pair avec un dévoiement de la science. Et fait toujours porter la suspicion sur l’autre, l’étranger. C’est terrible et grotesque d’avoir à signer une pétition pour rappeler ces évidences.
Laurent Fabius ex-Premier ministre
« Halte à la surenchère »
Quel que soit l’angle sous lequel on l’examine, cette mesure, prétendument faite pour « aider » l’immigration régulière, doit être refusée. Jusqu’ici, le législateur n’a-t-il pas en effet limité avec raison l’usage des tests génétiques à la médecine, à la science et à des procédures judiciaires ? Comment admettre que le droit de la famille et celui de l’enfant soit défini en termes strictement biologiques ? N’y a-t-il pas abus de confiance à citer les « exemples européens » alors qu’ils ne pratiquent en général pas ainsi ? Ne confond-on pas, en ajoutant barrage sur barrage, être ferme et être fermé ? Et même, ne veut-on pas, avec la symbolique des tests, assimiler en filigrane immigré et délinquant potentiel ? Halte à la surenchère sur l’immigration ! Quatre lois en quatre ans, des préfets pressés de « faire du chiffre » en matière de reconduites à la frontière, la chasse aux sans papiers jusque dans les écoles pour leurs enfants, cela fait cher le tribut électoral versé à la droite extrême. L’immigration est une question complexe à traiter sérieusement, pas un filon à exploiter.
René Frydman gynécologue-obstétricien
« La génétique ne fonde pas un lien familial »
Ce projet est très offensant pour les étrangers. La loi française de bioéthique refuse la biologisation de la filiation et réserve le recours aux tests ADN de filiation aux conflits familiaux graves, portés devant les tribunaux. Cette ligne est juste, la génétique ne fonde pas un lien familial. Il y a une quinzaine d’années, l’Inserm avait étudié l’ADN et la filiation de classes entières d’enfants, dans des écoles et avait découvert qu’une proportion non négligeable des troisièmes rejetons d’une famille n’étaient pas l’enfant de leur père… Ainsi, nous appliquerions aux autres une règle que nous refusons. Ainsi, nous exigerions que des informations biologiques servent de passeport à des étrangers. Cela rappelle de très mauvais souvenirs. Il est vrai qu’une minorité de pays européens se réservent la possibilité de demander des tests ADN pour le regroupement familial. Mais dans ces pays, il n’y a pas de discordances de droit : les tests ADN sont libres d’accès pour tous. Il faut aller au-delà, obtenir une harmonisation au niveau européen de l’usage des tests ADN pour l’immigration, sur la base d’une réflexion éthique.
François Hollande 1er secrétaire du PS
« Cette question dépasse le clivage droite-gauche »
Cette pétition montre que cette question d’ADN dépasse le clivage droite-gauche pour toucher à notre conception de la nature et de la République… Elle met en cause deux principes fondamentaux. La filiation n’est pas un simple lien du sang mais un lien d’affection, d’adoption et d’accueil. On ne peut avoir deux définitions de la parentalité selon qu’on s’adresse aux Français ou aux étrangers désireux d’immigrer en France. Enfin, elle met en œuvre une discrimination : pourquoi le test ADN réservé à des fins d’enquête et de justice devrait régler l’accueil ou le non-accueil des étrangers? Je pense que ce procédé n’est pas destiné à régler une question mais à soulever une polémique. Que Le Pen et l’extrême droite soient les premiers à approuver ce test ADN est significatif.
Dominique Sopo SOS-Racisme
« Une offensive contre le regroupement familial »
Le projet Hortefeux a suscité des amendements populistes aux relents xénophobes. Le groupe de députés entraînés par Mariani associe l’immigration à l’image de la fraude pour retirer des droits vécus comme évidents pour les étrangers qui vivent en France et lancer une offensive de taille contre le regroupement familial. L’immigration devient un épouvantail qu’agitent ces ultras. Cela pose la question de la responsabilité du chef de l’Etat. Il a compris que la France était dans une période de repli national et pendant la campagne, il a ouvert les vannes. La question de l’ADN est le symbole de cette suspicion à l’égard des immigrés. D’autant plus grave que l’amendement brise un consensus républicain autour des lois bioéthiques.
Bernard Thibault Secrétaire général de la CGT
« Alimenter le racisme »
L’instauration de tests ADN pour prouver une filiation familiale est présentée par certains députés comme une simple méthode pour organiser « l’immigration choisie ». Faire entrer la génétique sur un autre terrain que ceux liés à la médecine et la justice est un choix de société qui peut être lourd de conséquences. Il ne peut certainement pas être traité au détour d’une énième loi sur l’immigration sauf si l’objectif inavoué est d’alimenter un racisme déjà omniprésent. La génétique n’a rien à faire dans la définition d’une famille, sinon il faut se préparer à des milliers de charters pour des milliers de Français « génétiquement illégaux ». Ouvrir cette voie, c’est admettre demain de nouvelles ignominies.
Dominique de Villepin ex-Premier ministre
« Une mesure ni utile ni efficace »
Je demande le retrait pur et simple de cette mesure, pour une raison de principe républicain qui dépasse de loin les frontières politiques partisanes. Quelle idée nous faisons-nous du droit de la famille ? Quelle idée de la nation ? Doit-il y avoir une loi pour les étrangers et une autre pour les nationaux ? Cette mesure est profondément attentatoire à nos principes républicains, contraire à la mission universaliste de notre pays. Et elle n’est ni utile ni efficace. Je note par ailleurs que cet amendement divise profondément notre majorité, je pense à Charles Pasqua, à Jean-Pierre Raffarin. C’est aussi le cas au sein du gouvernement, avec les oppositions, notamment, de Bernard Kouchner et de Fadela Amara. Or, sur la question de l’immigration, il faut un très large consensus. Il faut bien sûr lutter contre l’immigration illégale mais avec nos principes, et pour construire une vraie politique d’immigration à l’échelle européenne. Il ne faut pas trahir nos idéaux ni oublier nos objectifs. Il existe une autre vérité, plus stratégique : il est important pour le gouvernement et pour le président de la République de se concentrer sur l’essentiel, et l’essentiel ce sont les réformes économiques et sociales. Tout ce qui nous éloigne de cet objectif n’est pas bon.
Source : Libération