Nous ne lirons pas la lettre de Guy Môquet dans nos classes le 22 octobre

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La décision du président Sarkozy de faire lire cette lettre n'est pas anodine.

C’est la première décision de son mandat présidentiel : quel sens lui donner ?
- La décision officielle date de mai 2007, la référence à Guy Môquet émaille toute la campagne électorale du candidat Sarkozy et, en premier lieu, son discours d’investiture à l’UMP de janvier 2007.
- A chaque fois, il convoque les grandes figures de l’histoire de notre pays, au nom de l’union nationale. Guy Môquet est ainsi cité à plusieurs reprises et sa lettre du 22 octobre 1941 à sa famille aussi, comme un moment d’émotion à partager.
Dans ces conditions, nous considérons que la décision d’appeler tous les lycéens de France à être en « communion » avec le Président le jour où il commémore lui-même la mort de Guy Môquet relève de la démarche partisane.

Cette décision contribue à instrumentaliser l'histoire au profit d'une ambition politique.
- Citer un fait, un texte, un nom, sans les inscrire dans leur contexte historique est la négation même de toute pratique historique conséquente.
Guy Môquet est ainsi présenté comme un exemple pour la jeunesse. Evidemment coupé de son contexte, le jeune homme fusillé par les nazis incarne une jeunesse prête au sacrifice suprême pour la patrie.
- Que le jeune homme soit un militant communiste, fils de député communiste, devient purement anecdotique.
- Que son arrestation en octobre 1940 soit le fait de policiers français, que sa désignation et celle des 26 autres « fusillés de Châteaubriant » soient le résultat de la collaboration étroite des autorités de Vichy avec l’occupant nazi ne font l’objet d’aucune mention dans la note de service du ministère de l’Education nationale qui précise les modalités de la journée de commémoration.
- L'Histoire ne peut se réduire à une suite de journées commémoratives. Son enseignement n'est pas une succession de coups de projecteurs en fonction de l'air du temps ; elle ne peut être instrumentalisée pour défendre le projet politique de quiconque.

Quand nous faisons venir des résistants, des déportés, notre travail avec nos classes s’inscrit dans des programmes ou des projets cohérents avec les exigences de l’histoire et de son enseignement.

Cette décision privilégie la mise en scène émotionnelle : avec quels objectifs ?
- L'émotion, qu'on peut légitimement ressentir à la lecture de cette lettre, ne peut suffire à entraîner une quelconque démarche historique, une quelconque réflexion constructive (en classe, comme dans les médias).

La lettre de Guy Môquet est une lettre intime adressée à sa famille, à qui il dit son affection avant de mourir. L'injonction du président de lire cette lettre dans un contexte solennisé (le même jour dans tous les lycées de France, la présence éventuelle d'élus, l'invitation à la presse afin qu'elle rende compte de l'événement...) montre bien que la mise en scène de valeurs familiales idéalisées est un des objectifs de cette opération.
- D’autre part, le chef de l’Etat  a justifié ainsi sa décision de faire lire la lettre de Guy Môquet aux lycéens : « Soyez fiers de la France au nom de laquelle ils sont morts » et « Aimez la France car c’est votre pays et que vous n’en avez pas d’autre ». La Résistance est réduite à la seule perspective du sacrifice et d’un patriotisme univoque ; Guy Môquet le militant est utilisé à contre-emploi !

L’École doit-elle fabriquer des mythes patriotes en lieu et place d’une interrogation critique sur la mémoire nationale ?

Devoir de mémoire ? devoir d'obéissance ? devoir de résistance !
Plutôt que participer à cette commémoration, nous préférons rester fidèles à l'esprit de la Résistance. Pour nous, résister aujourd’hui, c’est dire non aux injustices et à toutes les formes d’oppression, se battre pour faire vivre concrètement les valeurs que la République a inscrites sur les frontons des édifices publics. Elle est aux côtés de ceux qui poursuivent le combat pour le droit au bonheur conjugué avec la solidarité et la justice sociale. Elle est aux côtés de ces enfants qui ne demandent qu'une chose : pouvoir rester en France et y vivre avec leurs parents.

Des professeurs du lycée Queneau de Villeneuve d’Ascq,
à l’initiative des sections syndicales SNES-FSU, SNEP-FSU, SGEN-CFDT et SUD Education
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