Directive européenne "de la honte" : réaction de la Cimade
Directive européenne sur l'immigration : « Ce projet est complètement aberrant »
Le projet de directive européenne instaurant des règles communes à l'expulsion des clandestins inquiète les associations. Sophie Daylac, de la Cimade, juge ce texte « excessif et démesuré ».
Propos recueillis par Marie Rostang
Sophie Daylac est chargée du suivi des étrangers éloignés à l'association française de défense des étrangers évacués (la Cimade).
Pourquoi avoir qualifié cette nouvelle directive sur l'expulsion des sans papiers de « directive de la honte » ?
Parce que ce projet est complètement aberrant. Selon le texte, la rétention d'une personne expulsable pourra être prolongée jusqu'à 18 mois. Le clandestin risque d'être banni de l'UE pendant 5 ans. C'est excessif et complètement démesuré. En France, 85% des personnes enfermées en vue de leur éloignement sont renvoyées dans leur pays d'origine au bout de 17 jours seulement. Ce délai de 18 mois est beaucoup trop long. De plus, les sans papiers pourront être renvoyés dans des pays de transit dans lesquels ils n'ont aucune attache. Il n'est plus obligatoire de les renvoyer dans leur pays d'origine. Cette disposition nous paraît dangereuse et va contraindre les gens à vivre dans la clandestinité.
Le texte est aussi plus restrictif pour les mineurs...
Les enfants sont soumis aux mêmes procédures que les adultes selon ce texte. C'est-à-dire qu'ils pourront être enfermés jusqu'à 18 mois eux aussi, même seuls, et qu'ils pourront être expulsés dans un pays de transit, là où ils n'auront pas forcément de responsable légal. Les étrangers gravement malades n'auront plus droit à un titre de séjour automatique, comme c'était le cas jusqu'à présent. Ce texte durcit très sensiblement la politique d'expulsion des sans papiers. On en arrive à des mesures sans fondements.
Cette directive permet aussi de limiter les abus concernant la rétention des migrants dans certains pays de l'UE. En ce sens c'est plutôt positif...
Effectivement dans certains pays de l'Union, la durée de l'enfermement d'un clandestin est illimitée. cette directive européenne permettra d'interdire ce genre de pratiques. De plus, elle instaure un droit à l'aide judiciaire qui n'existe pas partout. Mais les dispositions du texte sont disproportionnées. 18 mois de rétention, c'est mieux que l'enfermement illimité mais ça reste trop long. Ça ne sert à rien de garder les clandestins si longtemps en prison alors qu'ils ne sont même pas criminels.
Selon vous, pourquoi avoir pris de telles dispositions ?
Cette directive doit soi-disant harmoniser les mesures d'éloignement des pays membres. Mais à la lecture du texte, on s'aperçoit que c'est un moyen détourné pour transformer l'Europe en forteresse. Le problème des décideurs politiques, c'est que les clandestins qu'ils expulsent reviennent quasi systématiquement. En les enfermant pendant 18 mois, en les bannissant du territoire européen pendant cinq années, ils sont sûrs que ces sans papiers ne reviendront pas aussi vite. Ça n'est évidemment pas une solution. On est en train de criminaliser des gens qui au fond n'ont rien fait de répréhensible, si ce n'est fuir la misère de leur pays.
Que comptez-vous faire pour vous opposer à l'adoption du texte ?
Nous organisons une manifestation à Paris le 14 juin pour protester contre ce projet de directive. Partout en Europe, des mouvements vont se mettre en place. En Espagne, en Italie, des manifestations sont prévues aussi. Nous ne laisserons pas passer un tel texte.
Source : Libération