Discours de Ségolène Royal sur l'environnement à Niort
Discours de Ségolène Royal prononcé lors de l'ouverture de l'université européenne et internationale d'été, présidée par Edgar Morin.
Je suis fière que la région Poitou-Charentes accueille cette université d'été. Loin, très loin des débats stériles et des joutes politiciennes, l'occasion nous est donnée ici, avec vous tous, avec des représentants de tous les continents, de réfléchir à l'avenir de notre planète, à notre avenir d'humains parmi les humains.
Le moment est important, l'enjeu est considérable.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Paul Valéry constatait avec lucidité que nos civilisations se savaient désormais mortelles. Notre civilisation voit aujourd’hui la possibilité d’une disparition plus radicale encore : celle de l’espèce humaine elle-même, menacée par son propre aveuglement.
La peur de sombrer dans un cataclysme nucléaire a hanté la génération de la guerre froide, celle de nos parents ; je crains que nous ne laissions à nos enfants l’angoisse de subir un désastre écologique, si nous n’agissons pas aujourd’hui avec détermination et courage. Comme l'écrit Edgar Morin « les développements de notre civilisation en menacent les fondements ».
Les 4 crises
Nous vivons aujourd'hui 4 crises simultanées, dont les conséquences sont lourdes et qui nous donne une responsabilité politique et citoyenne considérables :
− l'épuisement très prévisible de nos réserves en pétrole,
− la réduction de la biodiversité, avec la réduction du nombres d'espèces animales, la pollution de l'eau et de l'air,
− des changements climatiques, avec des tempêtes, des inondations, des canicules, bref une multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes,
− la hausse des prix alimentaires, qui résulte à la fois de l'accroissement de la population mondial et de la désertification des sols.
Ces 4 crises simultanées vont avoir, et ont déjà, des conséquences immenses :
− l'accroissement des déséquilibres dans les pays les plus pauvres, avec l'accentuation de la pauvreté, les émeutes de la faim et de nouvelles migrations,
− des risques nouveaux de guerre, pour la maîtrise de l'énergie,
− une ponction sur la croissance et le pouvoir d'achat dans les pays occidentaux, l'accroissement des inégalités et plus profondément la remise en cause de notre modèle de développement économique.
Comment sous-estimer aussi les enchaînements de catastrophes liés à la disparition des récifs coralliens ? Comment sous-estimer la disparition de la biodiversité ? Comment sous-estimer les bouleversements systémiques portés par la modification des courants marins, à l’image du phénomène El Nino ? Comment sous-estimer les effets du réchauffement climatique sur la vie ?
L'aveuglement sans mesure face à cette crise écologique, économique et sociale, pourtant parfaitement identifiée, cet aveuglement est criminel.
Il résulte de trois causes principales :
- l’avenir de l’humanité est aujourd’hui l’otage de calculs économiques, partiels et biaisés, ne tenant pas compte des coûts que le changement climatique fera porter à nos enfants ;
- aux Etats-Unis, une administration démocratiquement élue par un grand peuple est aujourd’hui, encore pour quelques mois seulement, je l'espère de tout mon coeur, l’otage de quelques groupes de pression particulièrement bien structurés ;
- la Chine, pourtant dépositaire d’une civilisation millénaire, ne se sent pas de devoir vis-à-vis d’une humanité qu’elle a pourtant puissamment influencée.
La nécessité d'un progrès réfléchi
Alors que des choix graves se présentent à nous, il me paraît fondamental, pour commencer, de mettre fin au malentendu que certains entretiennent à dessein.
Il existe, partout dans le monde, des esprits intéressés ou malins qui s’ingénient à opposer progrès scientifique et promotion du développement durable. Ils insinuent le doute, patiemment, en souterrain, diffamant le combat pour la planète en combat d’arrière garde.
Femme de progrès, je ne suis pas nostalgique d’un prétendu âge d’or, où l’homme aurait vécu en osmose avec une nature virginale. Je sais, comme le dit si bien Michel Serres que « la culture naquit en même temps que la première pierre taillée (…) ; que l’humain commença quand intervint cet évènement décisif par lequel il sortit de ce que les philosophes appellent la nature ». Je sais que dès le premier outil, celui qui fait, celui qui produit, celui qui transforme, celui-là détruit et crée tout à la fois. Ces deux puissances que sont l’homme et la nature vivent aujourd’hui comme elles ont toujours vécu, dans une tension fondamentale entre violence et fécondation mutuelle.
Pourtant je ne puis m’empêcher de constater la puissance qui est aujourd’hui la notre, pour le meilleur, mais aussi pour le pire ; je ne puis m’empêcher de penser que nous autres, modernes, avons passé une étape capitale en nous pensant comme maître et possesseur de la nature.
Combien de fois ne m’a-t-on dit que mon refus d’autoriser la culture en plein champ d’organismes génétiquement modifiés allait contre le progrès ; que si l’on m’avait écoutée, l’être humain n’aurait inventé ni le vaccin, ni la machine à vapeur, ni la roue, ni même le blé domestique, résultat de croisements opérés plusieurs millénaires avant notre ère ? Combien de fois ne m’a-t-on dit que j’allais contre le sens de l’histoire ?
A ceux-là, je veux répondre aujourd’hui avec calme et détermination : nous défenseurs de l’environnement, ne sommes pas contre le progrès ; mais oui, nous pensons fermement que la puissance qui est la notre aujourd’hui nous exhorte à une prudence élémentaire. Il en va de notre intérêt fondamental ; il en va de notre survie même.
L'obligation de démocratie
La maîtrise technologique que nous avons acquise s’accompagne d'une une fragilité accrue face à l’incertitude.
La réponse, la première réponse à cette fragilité, c'est d'abord la démocratie.
Nous devons répondre de décisions dont les conséquences bien souvent nous échappent : voyez notre ignorance de l’impact produit par les nanotechnologies sur l’environnement et sur notre santé ! Voyez notre ignorance de l’effet des OGM sur les cultures en plein champ ! Voyez notre ignorance de l’effet des ondes de téléphones portables sur nos cerveaux ! En un mot, nous éprouvons, nous hommes et femmes de l’action, le poids de l’incertitude.
Cette incertitude est accrue par la vitesse du progrès technique. Le monde bat au rythme de pulsations rapides, si bien que nous avons parfois l’impression confuse qu’il y a quelque chose qui nous échappe, que des décisions sont prises sans que les citoyens n’aient leur mot à dire.
A l’âge de la vitesse et de la complexité, quelles sont au fond nos possibilités d’évaluation et de contrôle ? Comment être sûr que des décisions fondamentales pour la planète et pour notre santé ne seront pas prises à l’insu de tous ?
Je le crois fermement, il est nécessaire de nous redonner du temps pour débattre et évaluer. Il est nécessaire de remettre du politique là où il y a des intérêts privés mus par des logiques de court terme : aujourd’hui, nous ne pouvons accepter que la firme Monsanto détienne des brevets sur le patrimoine génétique, qui est un bien de l’humanité. Remettre du débat et de la politique dans tout cela, c’est selon moi la seule voie permettant de neutraliser l’incertitude qui pèse sur l’avenir du monde.
Nous ne pourrons agir sans une parfaite transparence sur la réalité des choses. L’accès à l’information, même si elle choque, même si elle perturbe, même si elle met en cause un certain nombre de comportements, cet accès à l'information est essentiel. C’est dans le secret des chiffres que se trouve l’inaction ; c’est dans leur vérité que se trouvent les ferments d’un avenir plus responsable.
L’environnement doit désormais devenir un objet de délibération politique et sociale constant. Comment ne pas être profondément déçue par le Grenelle de l’environnement, qui partait pourtant d’une bonne idée ? Absence de mise en œuvre convaincante à ce stade, absence de poursuite du dialogue nourri à cette occasion, j’ai aujourd’hui l’impression d’une formidable occasion perdue. Pourtant, il y avait là une chance historique à saisir : celle d’une concertation large, sans tabou, abordant tous les sujets, à l’heure où les grandes multinationales préfèrent le silence du lobbying discret.
La démocratie est un levier formidable contre ce rapport de force silencieux.
Une autre croissance
Pour sauver la planète, nous devons donc milité plus que jamais pour un progrès réfléchi, avec pour aiguillon et boussole la démocratie.
Mais nous devons aussi milité pour la croissance économique, même s'il s'agit bien sûr d'une autre croissance.
Face à l’exploitation irraisonnée des matières premières, face aux impacts environnementaux de l’activité économique, nous sommes parfois tentés de relancer les supposées vertus de la croissance zéro ou de la décroissance. Je serai claire : défendre une croissance nulle serait infondé sur le plan économique, social et international !
Infondé sur le plan social et international, car l’organisation de la rareté et de la pénurie profiterait d’abord à ceux qui en ont les moyens. Ce serait ainsi méconnaître les aspirations légitimes des classes moyennes des pays occidentaux et, à l’échelle du monde, celles des pays émergents ou des pays en développement.
Voici une contradiction qu’il nous faut regarder en face : nous voulons augmenter le pouvoir d’achat des personnes humaines et nous devons sauvegarder la planète et notre environnement.
Nous avons pris conscience que l’exploitation intensive de la Terre par l’homme nous mène à la catastrophe.
Et dans le même temps, nous ne cessons, en tant que responsables politiques nationaux, de nous battre pour que le pouvoir d’achat de nos concitoyens augmente, pour que nos pays et l’Europe connaissent une plus forte croissance.
En tant qu’hommes et femmes de progrès, en tant qu’hommes et femmes qui ne soucient pas seulement de leurs concitoyens mais de l’humanité toute entière, nous devons nous féliciter des progrès économiques de la Chine et de l’Inde et de l’ensemble des pays émergents.
Ce serait en effet une curieuse conception de l’humanité et du progrès de juger que les pays émergents ne doivent pas trop émerger parce qu’ils mettent ainsi en danger l’équilibre écologique de la planète.
Nous devons récuser ce réflexe de vieille bourgeoisie ou de vieille aristocratie qui consiste à interdire aux nouveaux riches ou aux nouvelles classes moyennes les privilèges que nous avons eus pendant des décennies. La mondialisation, c’est la fin de la rente du monde occidental sur la planète, dit-on. Maintenant nous devons partager et vivre enfin ensemble.
Mais alors, comment rendre compatible notre souci de l’avenir de la planète avec notre volonté de voir la croissance et le pouvoir d’achat augmenter chez nous et chez les autres ? C’est une question difficile et essentielle, car la consommation est devenue centrale dans nos sociétés.
La consommation n’est plus un caprice ou un luxe réservé aux élites ou aux bourgeoisies de nos pays. La consommation s’est aujourd’hui profondément individualisée. L’individu contemporain ne consomme plus seulement pour vivre, il consomme aussi pour se construire et pour mieux vivre. La consommation est une des expressions les plus fortes et les plus essentielles de sa liberté.
Je cite Gilles Lipovetsky dans son essai sur la société d’hyperconsommation, qu'il a appelé « le bonheur paradoxal » : « Pouvoir construire de façon individualisée son mode de vie et son emploi du temps, accélérer les opérations de la vie courante, augmenter nos capacités à entrer en relation, allonger la durée de vie, corriger les imperfections du corps, quelque chose comme une volonté de puissance et sa jouissance d’exercer une domination sur le monde et sur soi se loge au cœur de l’hyperconsommateur. »
Une des inégalités les plus douloureuses dans nos sociétés occidentales, c’est justement qu’une partie croissante de nos populations souffre de ne pas pouvoir construire leur vie, de n’avoir pas accès à cette liberté : ils souffrent de ne pas pouvoir plus et mieux consommer. Il ne sert à rien de promettre ou de proposer un retour à la frugalité, de condamner la société de consommation : ce sont les plus modestes qui en seraient d’abord les victimes.
Dans les études et sondages qui sont faits en France sur l’environnement, sur le réchauffement climatique ou la sauvegarde de la planète, on observe un clivage au sein de la population. Chez les plus aisés, l’enjeu environnemental est important, voire primordial ; chez les plus modestes, et même dans les classes moyennes, il existe, mais de façon plus abstraite, plus lointaine, loin derrière d’autres enjeux. Ceux qui vivent le mieux dans nos sociétés sont prêts à des restrictions ou à des changements de comportement – notamment vis-à-vis de la voiture et de son usage, alors que les plus modestes y sont souvent beaucoup plus hostiles.
Pas d’égoïsme ou d’irresponsabilité derrière ces attitudes, mais le sentiment que l’on vit comme on peut et que l’on vit mal. Quand en province, on est obligé, à cause du prix du logement, d’aller habiter à 30 ou 40km de son lieu de travail, parce qu’on veut une maison individuelle, alors on doit aussi prendre sa voiture pour aller travailler. Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est la contrainte économique et le besoin d’épanouissement personnel qui sont là.
Il ne faut pas culpabiliser les plus modestes et les classes moyennes dans nos sociétés, au nom de la sauvegarde de la planète. Et il ne faut pas non plus que l’obligation de sauver la planète soit uniquement un discours de riches. Sans quoi nous échouerons.
Au fond, il y a bien dans la question environnementale un enjeu fondamental d’égalité. La dégradation de l’environnement – alimentation, air, eau – frappe d’abord ceux, pays ou individus, qui ont le moins de revenus. Dans les pays du Sud en particulier, l’alternative ne saurait être entre une croissance zéro évidemment suicidaire ou une croissance insoutenable, dont les effets en terme de sécheresse, de désertification, d’insécurité alimentaire touchent les plus pauvres. L’agriculture respectueuse des sols, la gestion raisonnée de la ressource en eau, la valorisation maîtrisée des ressources naturelles comme la forêt : autant de voies vers un développement durable, conjuguant croissance et respect de l’environnement.
La croissance zéro est également infondée sur le plan économique car elle repose sur une fausse vision de la croissance.
Bien sûr que nos réserves en matière première sont finies ! Bien sûr que nous atteindrons bientôt le pic de production pétrolière ! Bien sûr enfin que l’exploitation des ressources naturelles doit être maîtrisée ! Mais l’histoire du monde est fondée sur des innovations qui ont permis de transcender la finitude des ressources ! A la vision statique que proposent les tenants de la croissance zéro, il faut substituer une vision positive et dynamique.
Nos modes de production et de consommation sont moins néfastes aujourd’hui qu’hier, et le seront moins encore demain qu’aujourd’hui.
Par exemple, en 1971, il fallait 560 litres de pétrole pour produire 100 dollars de PIB ; en 2002, ce n’est plus que 380 dollars. Et cette baisse va se poursuivre.
D'autre part, notre hyperconsommation est de plus en plus une consommation de services et ce type de consommation est moins destructeur d’énergie fossile que la consommation de la société industrielle des années 1970.
Enfin, la consommation d’énergies renouvelables et propres ne cesse de progresser et il faut non seulement les encourager mais aussi les imposer.
La recherche et le progrès techniques, conditions sine qua non de la croissance, oeuvrent ainsi à la découverte de nouveaux modèles énergétiques. C’est dans ce cadre qu’il faut voir l’émergence probable d’une future économie de l’hydrogène dont certains pays ont lancé l’expérimentation, notamment la Norvège. Je crois plus largement que la puissance publique a un rôle d’incitateur puissant à jouer : c’est la raison pour laquelle j’ai mis en place dans la Région que je préside un « Plan après-pétrole » favorisant notamment l’utilisation des agro-carburants et le développement des énergies renouvelables. Quoi qu’il en soit, l’Europe devra être un pilote en ce domaine, notamment pour financer la recherche sur les énergies alternatives (solaire, éolien).
J’en suis convaincue, l’excellence environnementale sera l’un des moteurs de la création d’emplois en Europe et dans le monde au cours des vingt prochaines années. Que l’on songe au secteur du bâtiment, avec les travaux d’isolation nécessaires et l’incorporation de normes énergétiques renforcées dans les constructions neuves, au secteur de l’aménagement urbain, des transports, de l’agriculture biologique, des énergies renouvelables… Ce sont des perspectives formidables qui s’ouvrent à nous. Nous devons tous ensemble les saisir !
Songez qu’en France nous gaspillons encore 40% de l’énergie consommées dans une maison : 40%, c’est considérable ! En ce domaine, les pays nordiques montrent l’exemple. Leurs maisons ne gaspillent pas d’énergie. Dans les industries, tout est recyclé, et cela, depuis très longtemps. Imaginez qu’en France, on en est encore à construire des incinérateurs !
A la tentation malthusienne, je propose donc de substituer une autre vision de nos de vie et de production, et une autre mesure de la qualité de vie et du bien être que celle de la production Intérieure Brute.
Je le dis depuis longtemps : la croissance future devra reposer sur la valeur économique, la valeur sociale, la valeur écologique.
A une civilisation du gaspillage, à la consommation débridée d’énergie, au rejet de nos déchets, je crois que nous devons substituer une nouvelle vision de la société : plus sobre, plus économe, capable de recycler, promouvant des modes de transports peu polluants. C’est cela la politique de civilisation, fondée sur la qualité plutôt que sur la quantité, vous le savez mieux que quiconque ici !
C'est pourquoi je ne peux m'empêcher de conclure en citant à nouveau Edgar Morin : « Un système qui n'a pas les moyens de traiter ses problèmes est condamné soit à la régression, voire à la mort, soit en se dépassant lui même, à la métamorphose. En refusant la régression, en résistant à la mort, oeuvrons à la métamorphose. »
C'est ce que vous faites ici.
Excellente université d'été.