La silencieuse ascension de Jean-Marie Le Pen
Sans se fatiguer à faire campagne, Jean-Marie Le Pen profite des thématiques mises en avant par ses concurrents pour affermir son influence.
Par Christophe FORCARI
Discret, patelin, mais toujours là. Et menaçant. A trois semaines du premier tour, Jean-Marie Le Pen va marquer une pause dans sa campagne. D'ici le scrutin, il n'a que deux grands meetings, l'un à Paris, l'autre à Nice. Le président du Front national préfère se contenter d'enchaîner les rendez-vous médiatiques. Pas de déplacements, pas de visites d'entreprises ou de sorties sur les marchés : alors que ses adversaires les multiplient. Le Pen, lui, ménage ses apparitions. Et l'âge du prétendant à l'Elysée n'aurait rien à voir avec cette phase de repos, jure son entourage. «Le président Le Pen est au-dessus de l'agitation de Royal, Sarkozy ou de Bayrou, qui jouent les hannetons dans un bocal et multiplient les interventions démagogiques», assure Jean- François Touzé, membre du bureau politique du FN et responsable de la cellule idées images. Il confirme le côté délibéré de cette stratégie de la rareté, déjà expérimentée en 2002, mais prend soin de préciser : «Détrompez-vous, il ne fait pas rien. Son agenda est très chargé. Il doit enregistrer les émissions de la campagne officielle, et il reçoit toute la journée des responsables d'associations, de représentants du monde économique culturel et universitaire.» Façon d'esquisser l'image d'un Le Pen devenu fréquentable pour les relais de cet «établissement» qu'il fait mine d'exécrer. Pour autant, Jean-François Touzé se garde bien de dévoiler les noms de ces éminentes personnalités...
Absent ou quasi de la campagne, Le Pen reste tapi dans l'ombre. Et le risque de le voir créer une nouvelle fois la surprise n'est pas écarté. Dans les sondages (lire ci-contre), le président du FN est bien calé dans la position du quatrième homme. Mais les responsables départementaux du FN ne manquent jamais une occasion de préciser qu'ils n'ont jamais rencontré «un accueil aussi enthousiaste» de la part des électeurs lors de leurs distributions de tracts. «Jamais le climat n'a été aussi favorable», affirme Olivier Martinelli, le directeur de cabinet du président du Front national. «Les événements travaillent pour moi», répète le vieux leader d'extrême droite. «Les échauffourées de la gare du Nord vont influer sur le cours de
Dédiaboliser. Pour se hisser de nouveau au second tour, Le Pen mise aussi sur la stratégie impulsée par sa directrice de campagne, la benjamine de ses trois filles, Marine Le Pen (lire ci-contre). La vice-présidente du Front national s'emploie à «dédiaboliser» le vote frontiste et à donner un tour apaisé à la candidature de son père. Une leçon tirée des mobilisations anti-Le Pen de l'entre-deux tours de 2002. Le FN est resté traumatisé par ces manifestations monstres et par le plébiscite républicain recueilli par Chirac. «A l'époque, on nous a accusés de ne pas être capables de gouverner. Cette fois, nous avons un véritable programme et nous avons mené dès le départ une campagne de second tour», explique un cadre frontiste. En 2002, le Front s'appuyait sur un document rédigé deux ans auparavant. Dans sa version 2007, le programme reprend sous une forme plus comestible les vieilles thématiques du parti d'extrême droite, qui elles demeurent inchangées, à commencer par la «préférence nationale», ce principe discriminatoire qui consiste à vouloir réserver emplois, logements et aides sociales aux seuls Français. Sous l'influence de Marine Le Pen, le FN ne demande plus l'abrogation de
Cible urbaine. Raison pour laquelle, après avoir progressé en 2002 dans des zones rurales, où son assise électorale était traditionnellement faible, il vise cette fois la population urbaine des villes moyennes, les femmes réputées plus sensibles au discours de Marine Le Pen, les jeunes diplômés et une partie du vote des banlieues rétif au bulletin Sarkozy. Sans négliger pour autant cet électorat ouvrier dans lequel il est enraciné depuis l'élection présidentielle de 1995.
Enfin, Le Pen a aussi changé de style. Plus question pour lui d'improviser sur scène comme il le faisait encore en 2002. Le candidat lit désormais mot à mot les discours rédigés par ses collaborateurs sans s'en écarter d'une ligne. A peine s'il égratigne ses adversaires dans des prophéties qui se veulent d'intérêt général. Il veut faire sérieux et présentable. Au risque de décevoir une partie de son électorat populaire, attiré par les formules assassines de ce bateleur d'estrade.
Source : www.liberation.fr