Jean Daniel : Pourquoi nous voterons Ségolène
par Jean Daniel cofondateur et directeur du Nouvel Observateur
"SI NICOLAS Sarkozy est élu (…) nous n’aurons aucune excuse. (…) J’appelle donc François Bayrou et Ségolène Royal, avant le premier tour, à s’engager dans la voie d’une alliance." Ségolène Royal a repoussé cette proposition en
Incident de parcours ? Non. Les répercussions de cette affaire n’ont pas disparu pour autant. Elles se sont aggravées dans la mesure où la mise sur le même plan de Ségolène Royal et de François Bayrou risque de démotiver un certain nombre d’électeurs de gauche qui se laissent au surplus persuader qu’au second tour, seul François Bayrou pourrait vaincre Sarkozy. Ainsi la conjonction de l’appel et des refus auront achevé de brouiller les cartes. Au point de ne pas exclure qu’un Le Pen – oui, Le Pen - puisse en profiter.
Que l’initiative de cette affaire vienne de Michel Rocard évoque chez nous plus de souvenirs que de surprise. Nous l’avons souvent aidé à lancer un pavé dans la mare, notamment en 1978, après la défaite de la gauche aux élections législatives. Il avait alors fait à la télévision une déclaration incendiaire et nous en avions tout simplement fait notre Une, ce que François Mitterrand devait mettre longtemps à nous pardonner. Autrement dit, nous avions déjà pour cet homme, Michel Rocard, dont le discours parfois trop intellectuel nous en imposait, un respect complice et nous admirions qu’il n’exclue pas le scandale pour défendre ses vérités.
Reste qu’aujourd’hui, quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, il nous faut répondre à deux questions. Si Rocard se doutait de la réaction des deux destinataires de son appel, pourquoi l’a-t-il lancé ? C’est un fait qu’il n’a jamais cessé de se rebeller contre sa famille et d’en être
La seconde question, plus importante, consiste à savoir si, formulées de cette manière, les idées qui nous sont communes peuvent ou non avancer. Quelles idées ? En un mot, il s’agit d’arriver à réaliser en France une vraie social-démocratie dont chaque homme de gauche pourrait être fier. Rappelons quelques jalons de cette histoire. Au moment où François Mitterrand marchandait encore son estime pour les socialistes scandinaves sous le prétexte incroyable qu’ils demeuraient en grande partie dans la dépendance"du capitalisme et des puissances de l’argent", nous avons essayé, avec des hommes comme Mendès France, comme Jacques Delors, comme Michel Rocard, comme Edmond Maire et quelques autres de montrer que la social-démocratie était désormais la seule forme de socialisme adaptée au monde moderne et que toutes les nations européennes, sauf la France, en avaient tenu compte.
Il y a un nom de ville qui est souvent répété lorsque l’on rappelle ces débats, c’est celui de Bad-Godesberg, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. C’est là que les socialistes allemands, en 1959, ont proclamé leur rupture avec toute espèce de collectivisme et leur ralliement à une forme contrôlée de l’économie de marché. Bad-Godesberg n’a cependant cessé de sonner aux oreilles des socialistes français comme l’exemple d’une trahison ou comme le rappel d’une lâcheté. Ce que nous avons ici le plus reproché à François Mitterrand – et j’en ai fait tout un chapitre d’un livre paru de son vivant et auquel, d’ailleurs, il a répondu – c’est de n’avoir pas eu le courage de théoriser ni de faire le choix stratégique d’assumer les heureuses réformes – le retour de la"rigueur" - auxquelles l’avaient conduit en 1983 le plus élémentaire réalisme européen et financier. Sur ce plan, je me souviens que Pierre Mauroy, que l’on aurait pu croire plus traditionaliste, nous avait donné raison.
Imposée par l’hégémonie stalinienne, la peur de paraître s’éloigner d’une "stratégie de rupture avec le capitalisme" a obsédé un nombre insoupçonné de responsables socialistes. La vérité est qu’il y a une tradition anti-social-démocrate dans le
Il n’y a donc pour nous de désaccord avec Rocard que sur la date qu’il a choisie pour lancer son cri. Il y a trois mois, ce discours n’aurait manqué ni de prestige ni d’ascendant. Aujourd’hui, nous sommes à la veille du premier tour de l’élection présidentielle et la résignation à une élimination de Ségolène au premier tour, même si l’on pense que cela peut faire battre Sarkozy au second, est symboliquement très grave pour
La réaction simple n’est-elle pas de tout faire pour que pas une voix ne manque à Ségolène Royal ? Ce n’était apparemment pas l’avis de Michel Rocard qui pensait qu’une entente entre Ségolène Royal et François Bayrou leur donnerait à tous les deux plus de chances. François Bayrou vient de montrer qu’il était loin, quant à lui, de partager cet avis. Quant à certaines réactions de la gauche, elles étaient prévisibles. Elles ressuscitent le rassemblement des socialistes qui ont voté non au Traité européen et elle provoquent l’unité de la gauche de la gauche, dont les voix additionnées peuvent frôler les 12 %.
Il s’agit alors de bien plus que d’un choix de personne. Ou bien on mobilise l’opinion en faveur de Ségolène avec l’idée qu’elle a donné déjà un certain nombre de gages qui l’éloignent de la tradition anti-social-démocrate, qu’elle est plus prête que d’autres, plus libre pour prendre des initiatives comme celle, par exemple, de demander à Jacques Delors de jouer le rôle qu’elle ne peut plus confier à Michel Rocard. Ou bien, parce qu’on le pense plus en situation de gagner face à Sarkozy, on choisit de promouvoir François Bayrou qui a pourtant été très longtemps le compagnon de ce Sarkozy qu’il combat aujourd’hui.
Pour ma part, c’est en somme parce que je suis resté rocardien que je souhaite la clarté d’une victoire de Ségolène Royal. Elle suscite encore des réticences, en partie explicables par la rémanence d’un machisme à
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