La communication de Nicolas Sarkozy... et de ses amis

Publié le par Dominique Millécamps

Un système "d’information" intriguant

Dans les médias traditionnels, Nicolas Sarkozy a rarement été présenté concrètement comme le chef et l’ami de certains élus auteurs d’atteintes à la démocratie au sein de leur fief local, notamment en matière de communication avec leurs administrés. Des pratiques qui ressemblent de très près à celles utilisées par le candidat UMP.

A l’heure où les médias français sont de plus en plus concentrés au sein de grands groupes industriels, Nicolas Sarkozy a placé la communication au cœur de sa stratégie politique. Il a non seulement su établir un réseau impressionnant de relations d’amitié avec les propriétaires des grands groupes de médias (Martin Bouygues, propriétaire de TF1 ; Arnaud Lagardère, propriétaire du groupe de presse Filipacchi, qui détient notamment Elle, Le JDD, et Paris Match, ainsi que la radio Europe 1 ; Serge Dassault, propriétaire du Figaro) et de nombreux directeurs de rédaction (Nicolas Beytout, directeur de la rédaction du « Figaro », Jean-Marie Colombani directeur du « Monde », Jean-Claude Dassier, directeur de LCI, etc.) mais il a aussi développé un véritable système de communication afin de véhiculer sa politique comme il l’entend. On connait donc l’influence qu’a le candidat UMP sur les médias, et on l’accuse même de verrouiller des informations compromettantes, de pratiquer la censure, d’exercer des pressions sur les journalistes, de truquer les statistiques et d’avoir trop souvent pour lui des médias complaisants. De nombreux témoignages de journalistes ou de personnalités proches de ceux qui l’ont interrogé, comme celui de l’acteur Philippe Torreton (cf. émission « en aparté », sur Canal + le 15 février 2007), proche de la présentatrice du journal de TF1 Claire Chazal vont dans ce sens.

Ce que l’on sait moins, c’est que les pratiques dont on accuse Nicolas Sarkozy sont aussi monnaie courante dans certains fiefs détenus par des élus UMP, amis proches du candidat, notamment dans certaines communes des Hauts-de-Seine, département dont Nicolas Sarkozy est aussi le président. Ainsi, à Levallois-Perret, à Asnières-sur-Seine, à Puteaux, et dans d’autres villes encore, les élus locaux ont eux aussi placé la communication au cœur de leur stratégie politique, mais, du fait que leur action n’est pas sous la couverture des médias nationaux, ils sont allés très loin dans les excès, comme en témoignent les nombreux sites et blogs contestataires qui ont été lancés (MonPuteaux.com, Asnierois.org ou encore Levallois.tv et bien d’autres encore), en général par de simples citoyens, voire des élus d’opposition, afin de dénoncer les dérives d’un même système aux multiples facettes.

De quelles dérives s’agit-il ? On peut constater tout d’abord le détournement des moyens publics à des fins de politiques ou personnelles. A Puteaux par exemple, on peut compter dans le journal municipal en moyenne une vingtaine de photos de la maire Joelle Ceccaldi-Reynaud , suppléante de Nicolas Sarkozy à l’Assemblée Nationale (cf. MonPuteaux.com, décembre 2006, « Le mensonge écologique de « Puteaux Infos » »). A Asnières-sur-Seine, le maire Manuel Aeschlimann, conseiller pour l’opinion publique de Nicolas Sarkozy, ne cache pas ses pulsions exhibitionnistes : « je me déplace sur le terrain, il faut que ça se voit » (cf. L’Expansion de mars 2006, « Fièvre éditoriale chez les élus »). Par ailleurs, il s’attribue à lui et à son équipe les rénovations des lycées et collèges, ou le prolongement du métro, ou encore la rénovation du château de la ville, alors que ces activités ont été entièrement ou très fortement subventionnées par le département ou la région.

Des moyens financiers phénoménaux

Il faut dire que ces élus sont souvent à la tête d’un véritable groupe de presse local. On dénombre six revues en plus du mensuel Asnières-Infos à Asnières-sur-Seine. Le maire ne cache pas d’ailleurs qu’il consacre environ 500 000 Euros par an à la communication, soit « à peine 0.48% du budget total de la ville » selon lui (cf. L’Expansion de mars 2006, « Fièvre éditoriale chez les élus »), ce qui est pourtant déjà considérable. A Puteaux, commune de 40 000 habitants, le service communication de la mairie emploie 25 personnes, (journalistes, maquettistes, graphistes, photographes, webmestres, afficheurs, imprimeur municipal et prestataires), le cout des communications, dépassant plus d’un million d’Euros par an, rien que pour l’impression et la distribution… le tout aux frais du contribuable local !

Mais outre la propagande, ces moyens de com exorbitants sont aussi consacrés à des fins plus douteuses, en particulier pour régler des comptes avec certains opposants. A Puteaux encore, en septembre 2006, Joëlle Ceccaldi-Raynaud et Charles Ceccaldi-Raynaud, la maire de la ville et son père ancien maire déchu par sa fille en 2004, ont été condamnés par le tribunal de Nanterre pour diffamation à l’encontre de Christophe Grébert, l’auteur du site contestataire local monputeaux.com. Ils avaient en effet tenté de museler le jeune opposant en orchestrant une odieuse campagne diffamatoire contre lui, l’accusant publiquement de pédophilie, en reproduisant sur le blog de la ville une lettre accusatrice qu’ils avaient envoyée au préfet. Ils ont été condamné en première instance pour diffamation et à payer une somme totale de 8 000 Euros, le tout (les frais de justices d’un montant de 27 000 Euros à rajouter !) aux frais du contribuable putéolien (cf. le récit intégral de Christophe Grébert sur son blog).

Le truquage des chiffres

Une autre pratique est le truquage des chiffres, des statistiques. Nicolas Sarkozy est un adepte de cette pratique, ce que l’on a pu constater lorsqu’il exerçait ses fonctions au ministère de l’Intérieur, au moment de la communication des statistiques sur la délinquance de l’année 2006. Il mettait en avant une baisse générale de la délinquance de 1,3 % et un taux d’élucidation en progression, à 34,3 %. Or, derrière la baisse générale, se cache une augmentation de plus de 16 % des atteintes à l’intégrité physique, ce que le ministre se gardait bien de communiquer.

Par ailleurs, alors que les chiffres du ministère annonçaient moins de 4 millions de faits recensés pour l’année 2006, une étude menée conjointement par l’INSEE et par l’Observatoire National de la Délinquance, rendue publique le 19 décembre 2006 (cf. dossier de l’enquête), révèle que près de 13 millions de faits ont été recensés. Quelle explication ? Le quotidien Marianne du 2 décembre (cf. « Délinquance Leçon de maquillage ») rapporte le témoignage de certains commissaires de police, à qui l’on aurait exigé que « les chiffres de la délinquance soient a la baisse d’ici a la fin de l’année 2006 » et qu’il fallait « réduire l’augmentation de la délinquance révélée », « à commencer par les petites infractions a la législation sur les stupéfiants (moins de 5 g), apparemment indignes de figurer dans les statistiques. » ou encore en diminuant les plaintes pour escroqueries à la carte bancaire en justifiant que « le possesseur de carte bancaire n’est pas une victime, puisqu’il est remboursé par la banque ! »

On peut constater le même genre de montage à l’échelle locale, notamment en ce qui concerne la communication des chiffres sur la gestion financière des communes. A Levallois-Perret, commune « dirigée » par Patrick Balkany, ami très proche de Nicolas Sarkozy, alors que la dette de la ville a dépassé 250 millions d’euros ( !) en 2007, la municipalité vante les nombreux investissements de la ville sans pour autant communiquer les nouveaux emprunts réalisés, ou le montant de la dette cumulée. A Asnières-sur-Seine, la dette va atteindre 175 millions d’Euros, ce qui est énorme pour une ville d’un peu plus de 80 000 habitants. Pourtant, le maire et son équipe vantent la gestion exemplaire de la ville, et met en avant l’annuité de la dette (indicateur financier) qui est en baisse, sans pour autant communiquer sur le montant de la dette ou son augmentation vertigineuse.

Un point commun entre les communes du système est l’impression de transparence sur les investissements (ils sont souvent très détaillés dans les communiqués municipaux), mais l’opacité est totale en ce qui concerne le budget de fonctionnement. Aucun détail sur le cout des réceptions, des festivités, des frais de bouche des élus, des frais de justice, des frais de com, des salaires des directeurs de cabinet, des indemnités des élus. Pourquoi ? Car ces frais explosent et ne cessent d’augmenter d’année en année, prenant une part de plus en plus importante dans le budget de fonctionnement… souvent au détriment des besoins les plus basiques, comme le fait d’avoir une ville propre, des infrastructures (crèches, écoles, loisirs, etc.) en bon état, en nombre suffisant et en adéquation avec la population qui ne cesse d’augmenter, du fait des nombreux investissements et aménagements effectués par les promoteurs immobiliers, en complicité avec la mairie.

L’opacité dans la transmission des informations et dans les décisions prises

Si les contribuables sont à plaindre, les élus de l’opposition ne sont pas en reste. En effet, à Levallois-Perret, à Asnières-sur-Seine, à Puteaux, à Corbeil-Essonne, ils souffrent tous d’un manque de transparence dans les prises de décision importantes. Les élus de l’opposition se plaignent que les informations transmises par la majorité sont tronquées, et qu’ils n’ont pu voter de nombreuses délibérations pour cause d’irrégularités. A Levallois-¨Perret par exemple, lors du conseil municipal de février 2007, le budget primitif ainsi qu’un bilan de concertation d’un gros dossier de ZAC n’ont pu être votés, car « Les élus reprochent au maire UMP, Patrick Balkany, de n’avoir donné les documents qu’en début de séance. Ce qui ne leur a pas permis de voter en connaissance de cause. Idem pour le bilan de concertation de la ZAC Eiffel , un gros dossier d’aménagement qui prévoit notamment un grand centre commercial, qui n’a pas été communiqué à temps. » (cf. Le Parisien du 7 février 2007, « Huit élus d’opposition saisissent le préfet »). Les élus, qui ont quitté le conseil municipal en pleine séance, ont déposé un recours au préfet, visant sept décisions qui n’ont pu être débattues.

Mais on pourrait relever de nombreuses entraves à la loi, comme l’absence de concertation dans les projets d’urbanisme, la restriction de l’accès du public au conseil municipal, ou encore l’impossibilité de contrôle par l’opposition des décisions prises en dehors du conseil municipal.

La "contre-com" : censures, intimidations, etc.

Enfin, le système a mis en place de nombreuses stratégies de « contre-com » afin d’empêcher que des informations compromettantes soient diffusées. La pratique la moins subtile est vraisemblablement la censure. Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas empêché in extremis la distribution des 25 000 exemplaires déjà imprimés de la biographie de Cécilia Sarkozy « Cécilia Sarkozy, entre le cœur et la raison », en convoquant l’éditeur Vincent Barbare au ministère de l’Intérieur ? (cf. « Nicolas Sarkozy, enquête sur un homme de pouvoirs » de Frédéric Charpier) Nicolas Sarkozy ne s’est-il pas permis d’appeler les médias pour leur suggérer de ne pas inviter telle personne (cf. Le Vrai Journal de Karl Zéro d’avril 2006 dans lequel Nicolas Dupont-Aignan aurait du être invité mais aurait été annulé par l’animateur lui-même, suite à un conseil donné par un proche de Sarkozy) ? Pourquoi le dernier album de Joey Starr a-t-il été censuré, alors qu’il contenait un titre « Sarkozy tiens ta femme et tu tiendras la France » ? (Sarkostique du 2 novembre 2006, « Joey Starr censuré parce qu’il égratigne Sarkozy »).

Les villes aussi savent censurer : à Asnières, à Puteaux, tout comme à Suresnes, ou au Plessis-Robinson ou encore à Châteaudun, tous des fiefs UMP, les tribunes de l’opposition sont supprimées dans le journal municipal depuis début 2007. Raison invoquée par les maires : tenir compte de la règlementation (ils font référence à des lois obsolètes) qui indiquerait qu’en période de campagne électorale, les publications des tribunes des groupes du Conseil municipal doivent être suspendues. Or au Plessis-Robinson comme à Châteaudun, les maires ont été obligés par le tribunal administratif de publier les tribunes de l’opposition (Le Parisien du 16 mars 2007, « Le parquet rétablit les tribunes de l’opposition municipale » et asnierois.org du 16 mars 2007, « Le maire n’a pas le pouvoir de supprimer ou censurer la tribune de l’opposition »).

L’intimidation des opposants, qu’ils soient opposants politiques, associatifs ou citoyens, ou même des journalistes est aussi pratiquée par Nicolas Sarkozy et ses élus locaux. Un exemple : par deux fois, le candidat UMP aurait pointé publiquement un index vengeur sur un journaliste du Nouvel Obs, Hervé Algalarrondo en lui disant : « Je ne l’oublierai pas ! Je ne l’oublierai pas ! » Quoi donc ? Le numéro titré « Sarko secret », qui lui avait déplu. (cf. Le Nouvel Obs du 25 janvier 2007, « Comment Sarko met la presse sous pression »).

Cette intimidation se décline à l’échelle locale par des attaques en justice pour diffamation contre la moindre critique sur un tract, un blog ou un site contestataire. Les mairies de Puteaux et d’Asnières-sur-Seine en font leur spécialité. Pourtant à quelques exceptions près, toutes les décisions de justice débouchent sur un non-lieu. Il s’agit en réalité d’une technique appelée le « slapping » aux Etats-Unis, technique utilisée à la base par des grandes entreprises, et qui consiste à mener des poursuites judiciaires contre tout détracteur (en général un petit organisme, une association ou un simple citoyen) afin de l’affaiblir financièrement car il n’aura pas les moyens de se défendre jusqu’au bout (Le Monde citoyen, le 11 septembre 2006, « Le « slapping » ou comment bâillonner le citoyen »). Ainsi, même si la mairie perd ses procès (ce qui est quasiment systématique), l’opposant sera tellement affaiblit qu’il disparaitra naturellement. De nombreux états américains ont déjà interdit cette pratique.

Finalement, la politique pratiquée par le candidat à l’échelle nationale, basée sur la communication à outrance, est du même ressort que celle pratiquée par ses proches à l’échelle locale, là même où l’on expérimente les idées du candidat UMP, en lançant des structures pilotes chargées de tester sa politique. A la différence près que les dérives constatées localement sont bien plus concrètes et plus préjudiciables et attentatoires à notre démocratie. Cela permet néanmoins de donner un indicateur sur ce à quoi va ressembler « la France d’après » promise par Nicolas Sarkozy, mais qui existe déjà à Puteaux, à Levallois, à Asnières... De nombreux blogs en témoignent. La France risque de ressembler à cela...

Guillaume David

www.betapolitique.fr

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