Université d’Eté du PS - Atelier n° 1 : “Bilan électoral de la gauche”

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Logo-renovation.jpgBruno Le Roux introduit l’atelier en indiquant qu’il souhaite qu’il soit le plus interactif possible. Les interventions de la tribune se feront donc en réponse aux questions posées par la salle, une fois l’exposé liminaire de Stéphane ROZES (Politologue, CSA).
 
Stéphane Rozès rappelle qu’une élection est une rencontre entre les attentes du pays et les propositions des différent(e)s candidat(e)s. De ce point de vue, cette présidentielle est plus qu’une simple défaite : c’est une mise à nue de la gauche, car le pays s’est emparé de élection au travers d’un mouvement civique inédit. Ce mouvement de « Tous aux urnes » clôt un quart de siècle de recul du civisme.
 
Contrairement aux précédentes élections, cette élection n’a pas été dominée par un thème dominant. Les Français ont davantage choisi une personne pour ses capacités à résoudre leurs problèmes. Parce qu’ils ne savent plus vraiment qui ils sont dans un monde et une Europe en mutation, Ils ont également privilégié la question de l’identité nationale.
 
À la différence de 2007, les dernières élections se sont jouées sur la dialectique entre la communion nationale et la dispute sociale, ce qui permet aux électeurs de se projeter dans une instance qui les dépasse, ce qui est logique dans un pays où l’État s’est fait avant la Nation. Ces dernières années, certains « pilotes automatiques » ont permis d’éviter d’avoir à résoudre cette question :

- ainsi, la gauche l’a contournée par le biais du progrès qui permet de redistribuer les richesses crées. Or, ce dernier est en crise car les individus ont enfin pris conscience de la dualité de la mondialisation : ils risquent de perdre en tant que travailleurs ce qu’ils gagnent en temps que consommateurs.

- l’idée de progrès est en crise depuis le début des années 80 dans l’électorat de droite qui ne vit plus le Marché comme une instance providentielle construisant un pont entre la responsabilité et la projection dans l’avenir.

L’Europe, troisième « pilote automatique » est également en crise : l’Europe des 27 n’est pas vécue comme le prolongement de l’Europe des 15 et encore moins comme celui de la France. Elle n’a manifestement pas de contenu aux yeux de ceux qui craignent pour leur avenir social, qui ne comprennent pas les élargissements sans approfondissement initial.

Puisque tous les pilotes sont en panne, le pays se retrouve dans les personnalités qui ont en commun de refuser la contrainte extérieure, ce qui valorise la reprise en main du destin national. C’est pour cela que N. Sarkozy a conquis UMP, que S. Royal émerge dans l’opinion et que F. Bayrou perce, car il porte lui aussi cette cohérence.

La présidentielle a commencé lors du débat européen qui a vu une « renationalisation » du souhaitable. À partir de ce moment, nos concitoyens s’emparent de sujets politiques de fond, délaissant les sujets classiques. Ils attendent des candidat(e)s avant tout du volontarisme et de l’imaginaire politique d’abord, auquel il faut ensuite acculer des propositions concrètes. Cette élection sanctifie le primat du spirituel sur le temporel, ce qui explique succès S. Royal lors de la désignation au sein du PS.

La seconde grande leçon de cette élection, c’est que la France penche majoritairement à gauche sur le souhaitable et à droite sur le possible
. Pour l’emporter, il fallait être candidat de la résolution des problèmes.

Toutes les familles de la gauche ont été touchés par la faiblesse des scores réalisés en avril/mai 2007. Ils sont en crise, car l’imaginaire présidentiel préempte la question sociale,

Face à la difficulté de l’exercice du pouvoir, la gauche a usuellement trois réponses : celle de la première gauche (qui colle aux demandes de son électorat populaire, au risque de passer pour irréaliste), celle de la seconde gauche (sérieuse, au risque de passer pour une simple gestionnaire) et celle de l’extrême gauche (qui craint la trahison, au risque de ne rien faire). S. Royal a su s’imposer au Parti Socialiste car, plus que ses concurrents, elle a affirmé vouloir le pouvoir. Elle avait la quatrième réponse : la démocratie participative, qui construit du consensus et fait intérioriser par chaque individu la contradiction entre le souhaitable et le possible. Son rapport à la gauche est en ce sens plus culturel que doctrinal.

La grande spécificité de l’élection présidentielle de 2007, c’est le choix des électeurs de juger les candidats sur la cohérence entre leur personne (grille verticale), les valeurs qu’il porte et le projet présidentiel. Ils ne cherchaient pas une campagne horizontale, c’est-à-dire une campagne gauche/droite, ce qui a été bien mal compris par les milieux parisiens.

Chaque tour fut dédié à un temps précis : la résolution des problèmes pour le premier tour, l’incarnation pour le second tour. Les études ont permis de suivre ce cheminement : S. Royal est en tête pour ses raisons jusqu’à Villepinte. Son score dépendait de la capacité du PS à se mettre à son service. Par contre, le « catalogue » de mesure annoncé à Villepinte n’est pas perçu comme uniforme : elle chute en conséquence. Ses déclarations sur son « autonomie sur TF1 lui permettent de remonter. Son choix de procéder à une fin de campagne « anti-Sarkozy » lui sera fatale. Les Français attendaient qu’elle dise qui elle est et non pas pourquoi il ne faut choisir l’autre.

Cette présidentielle représente la fin d’un cycle. La gauche ne peut plus proposer un compromis basé sur la recherche de la prospérité pour pacifier les relations sociales. Elle n’a pas su travailler pour trouver les outils transformer le souhaitable en possible.

Les élections législatives sont aussi riches d’enseignements. Le « correctif » opéré entre les deux tours renseigne sur la nature du Sarkozysme. Les Français ont perçu comme une forte contradiction entre la proposition de hausse de TVA de 5 points et ce qu’ils pensaient avoir compris du programme de N. Sarkozy.

Les votes furent également déterminés par des facteurs sociaux culturels (âge, niveau de diplôme, …). S. Royal est perçue comme la représentante des gens à statuts et des précaires, à la différence de N. Sarkozy qui passe pour celui de « la France du travail (patrons ou ouvriers du privé qui attendent la posture et le geste bonapartiste de la responsabilité).

Bruno Le Roux
passe la parole à la salle afin qu’elle pose ses questions.

Le premier intervenant
souligne le fait que N. Sarkozy a su montrer qu’il pouvait incarner le pouvoir, mais aussi le quotidien. Le capitalisme évolue plus vite que le socialisme.

Gérard Filoche
indique être sceptique sur l’analyse de Stéphane Rozès. À ses yeux, la France est de gauche tant pour le souhaitable que pour le possible. Les électeurs n’admettent simplement pas que leurs dirigeants pensent que le possible est irréalisable. En ce sens, il juge le discours de Villepinte, qui met l’accent sur le poids de la dette, symptomatique de nos errements. Puisque la France s’enrichit sans cesse, nous ferions mieux de cesser de nous attaquer à la fonction publique ou aux acquis sociaux. De même, il estime que nos gains de productivité doivent être partagés : il ne faut pas travailler plus pour gagner plus. En cas contraire, le possible recule, et nous nous plaçons sur le terrain de nos adversaires. Nous devons par exemple concrètement cesser d’esquiver la question du SMIC ou de l’impact de l’euro sur le coût de la vie. Pour gagner, nous devons mener un combat frontal avec « le gouvernement le plus à droite depuis VICHY » et défendre en conséquence le code du travail, les 35 heures et la retraite à 60 ans, c’est-à-dire ce qui rapproche le possible du souhaitable.

Sandrine Mazetier
estime qu’il n’est ni juste ni utile de reconnaître à Nicolas Sarkozy une cohérence et une suprématie politique dont il ne dispose pas.

Un camarade
interroge Stéphane ROZÉS sur les raisons du vote massif (78 %) des retraités en faveur de N. Sarkozy.

Laurence ROSSIGNOL
souhaite regarder autrement la séquence électorale que nous venons de vivre, notamment en ciblant le vote des femmes. L’analyse du « gender gap » à un sens, notamment car c’est la première fois qu’une femme pouvait accéder à la présidence De plus, il s’agissait d’une femme qui assume son genre, contrairement à d’autres à l’étranger qui gomment leur appartenance au genre féminin

Les motivations de vote ne sont pas sexuées et relèvent de facteurs classiques (chômage, inégalités, formation,…). Lors de sa désignation, S. Royal est crédité de 10 % de vote en plus chez les femmes. Six mois plus tard, le résultat est inverse : N. Sarkozy la devance de quatre points chez les hommes et de sept points chez les femmes. Cette déperdition est pour partie liée aux questions d’âges et de diplômes. S. Royal est nettement en tête chez les jeunes femmes de 18-34 ans, alors que les femmes de plus de 60 ans votent deux fois plus pour son adversaire. Si S. Royal est la candidate des femmes célibataires, des femmes diplômées et des étudiantes, N. Sarkozy est celui des veuves, des femmes mariées et des femmes ayant fait peu ou pas d’études.

Laurence Rossignol estime que les autres faits marquants de cette élection sont :

-le report massif sur N. Sarkozy des voix de millions d’électeurs ayant opté pour F. Mitterrand en 1981.
- la faiblesse de la gauche dans le monde salarié.
- la question de la compétence : omniprésente, ce qui est inhabituel, elle dénote d’une certaine forme de misogynie. Pourtant, les femmes les plus diplômes la préfèrent, alors qu’elles sont souvent les plus exigeantes. Le fait que cette question n’a pas été discriminante pour celles qui sont les plus exigeantes prouve le caractère misogyne du vote. Il est à noter que la misogynie est aussi une arme masculine centrée sur un électorat féminin, puisque les femmes âgées sont celles qui trouvent S. Royal incompétente. A contrario, les femmes actives se sont identifiées à notre candidate (vie, parcours et difficultés communes) qui avait valeur d’exemple.

Le choix des femmes ouvrières doit nous interroger, car notre discours a peu de prise sur leur choix. Nos hésitations sur les 35 heures et la focalisation sur la « valeur travail » ne leur ont pas permis de nous cerner comme les porteurs d’une amélioration de leurs conditions de vie, souvent très dures et peu rémunérées. Sans doute aurions-nous dû démonter davantage le discours « travailler plus pour gagner plus » pour les conquérir, elles qui vivent des « doubles journées ».

Rémy
, militant PS conteste le fait que les élections se jouent sur la verticalité et non sur un clivage droite/gauche. Il estime que N. Sarkozy a un positionnement politique.

Françoise,
conseillère régionale d’Auvergne, estime que N. Rossignol à raison d’insister sur le lien entre le vieillissement et le vote à droite. Elle rappelle que la condition patrimoniale joue aussi : plus on s’enrichit, plus on vote à droite. Elle nous engage à renouer avec les classes moyennes en leur parlant des moyens de revitaliser l’ascenseur social. Elle nous engage enfin à mener de bas en haut, notamment pour mieux appliquer la parité.

En réponse, Bruno Le Roux précise que le PS a mis l’accent sur le renouvellement pour favoriser la parité : les nouveaux élus sont socialistes à 42 % et se composent chez nous de femmes à 41 % de femmes. Ils souhaitent illustrer le lien entre renouvellement et parité en citant quelques chiffres parlant : on ne compte aucune femme parmi les douze députés qui ont plus de 25 ans de mandats, tout comme parmi les 32 députés qui ont de 15 à 25 ans de mandats. Donc, pour favoriser la parité, il faut s’engager sur le chemin du renouvellement.

Michel,
secrétaire section Juvisy et membre GSE TPE-PME, rappelle que S. Royal a raison de dire que les Français sont intelligents. Il engage tous ses camarades à cesser les attaques publiques, notamment sur ses positions sur les 35 heures qu’il estime juste et en phase avec la réalité des entreprises.

Albert
souhaite recueillir les réponses de Stéphane ROZÈS à trois questions : en quoi N. Sarkozy est-il bonapartiste ? La dimension spirituelle aurait-elle autant de sens avec un autre mode de scrutin ? La forte participation a-t-elle été favorable à la gauche ?

Une militante socialiste et syndicale
dans les cotes d’Armor attend du PS qu’il renoue le lien non pas avec les classes moyennes mais avec le monde ouvrier qu’elle juge délaissé par les nôtres. Elle nous engage à revisiter notre analyse sur les bienfaits des 35 heures, qui furent selon elle vecteur d’un accroissement du temps partiel subi chez les femmes.

Loïc,
militant à Toulouse, partage l’avis selon lequel le PS a quitté le temporel pour rentrer dans le spirituel, ce qui explique la désignation de S. Royal au détriment de la clarification du clivage gauche/droite.

Nicole
des Yvelines précise que nous aurions tort de caricaturer N. Sarkozy. À ses yeux, aucun candidat n’aurait pour autant pu réaliser un score supérieur à celui de S. Royal. Elle nous engage à analyser le vote des personnes âgées sous un angle différent : elles ont simplement choisi le candidat le plus paternaliste et le plus rassurant pour les encadrer dans un monde qu’elles comprennent mal.

Joseph,
agriculteur en Poitou-Charentes, intervient pour nous pousser à mieux cerner l’impact de certains de nos succès locaux. Nous devrions nous pencher sur les raisons qui ont poussé les bénéficiaires de nos réformes à changer de camp. Il nous propose également de cesser de débattre de nos réformes passées (âge de la retraite et 35 heures notamment) et inventer de nouvelles propositions qui prennent mieux en compte l’internationalisation des échanges et l’environnement.

Bruno Le Roux
estime que nous devons répondre nationalement à la question suivante, souvent posées par les électeurs : à quoi sert de voter socialiste ? Cette question n’est jamais posée localement, mais uniquement lors de la tenue d’élections nationales. Pour répondre, il faut poser la question de l’affirmation de la volonté. Il interroge Stéphane Rozès pour savoir si le rapport droite/gauche nous condamne à gagner uniquement en cas de rejet fort de la politique en place.

La démocratie participative vaut à ses yeux davantage sur le terrain local que national. Une élection se gagne quand la gauche redevient une force d’éducation populaire Il faut donc s’interroger sur la nature et le rôle du parti, en prenant de combattre l’idée qu il n’existe pas d’autre alternative.

Claude
du Morbihan souhaite savoir si Stéphane Rozès pense que le score de la gauche est en déclin depuis 1981.

Jean-Pierre
rappelle que nous devrons appliquer parité lors des élections cantonales et municipales et nous demande comment nous comptons y parvenir.

Patrick
de Chambéry, demande à Stéphane Rozès, si l’élément manquant pour la victoire de S. Royal est la défaillance de l’appareil socialiste, rétif à la suivre.

Une militante de l’Essonne
intervient pour préciser que 2002 et 2007 sont des élections qui diffèrent et nous devrions analyser tout ce qui a permis à N. Sarkozy de gagner, notamment sa capacité à se dédouaner du passif de sa famille politique

En réponse, Stéphane Rozès indique que ce qu’il est dit est le résultat d’une étude fine de l’opinion, ce qui est très différent du point de vue. La façon dont les individus se forment une opinion est une construction entre le souhaitable selon le point de vue de chaque individu en fonction de son histoire et son expérience et ce qu’il croit être le possible. Le travail du politique est donc de faire jouer ces éléments de représentation en le prenant au sérieux, ce que la droite fait mieux que la gauche qui tient peu compte de l’opinion.

Il estime que la présidentielle s’est jouée sur le fait que les Français ont estimé qu’ils n’avaient d’autre solution a la résolution de ses tensions que le retour de la volonté, ce qui a minoré les clivages. La gauche doit également comprendre que les ouvriers qui l’ont quitté l’ont fait car N. Sarkozy leur a simplement affirmé les avoir compris. Par ailleurs, il a séduit ces ouvriers car ils estiment que la gauche est pour libre-échange et souhaite augmenter les salaires : elle est donc pour eux facteur de délocalisation : travailler plus pour gagner plus n’est pas leur souhait mais un compromis qu’ils jugent tenable. Il a su les séduire sur l’alliance capital/travail au sien de la nation (comme De Gaulle pour qui votaient les sidérurgistes de l’est).

Tant que N. Sarkozy s’exposera, ils retiendront de lui son souffle : il est proche en ce sens du bonapartisme et du césarisme. Du coup, son rapport au pays devient supérieur à la résolution des questions réelles

Enfin, il n’existe pas de chutes inéluctables de la gauche : elle gagne les élections intermédiaires. De plus, cette élection était spéciale, sur la part prise par l’imaginaire. Cela impose un devoir de refondation à la gauche pour mieux articuler valeurs et propositions.
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