PS : l'heure du rebond

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Les temps sont mûrs pour un aggiornamento intellectuel. S'agit-il de se rapprocher du centre ou de la droite ? Non, il s'agit de se rapprocher du réel.

 

Au royaume du n'importe quoi, ce qui se débite à droite et à gauche à propos du Parti socialiste mériterait une mention spéciale du jury. Ce ne sont que haussements d'épaules et abaissements de bras, jérémiades hypocrites, interjections découragées, commentaires apitoyés : il a touché le fond, il est plus bas que terre, c'est une déroute historique, etc. Tout cela de la part de gugusses qui ont fait entre 1 et 4 % à l'élection présidentielle. Pour moi, avec mes idées simples, un parti dont la candidate a réuni 26 % des voix au premier tour de la présidentielle et 47 % au second n'est pas un parti à l'agonie.

Et tant qu'à déplaire aux imbéciles, allons jusqu'au bout : jamais une défaite politique n'avait offert autant de possibilités de rebond. Pourquoi ? D'abord, parce que la dernière élection a fait place nette autour du Parti socialiste. Le PCF a disparu, les gauchistes, réduits à la portion congrue, sont intellectuellement déconsidérés, les Verts sont atomisés, les radicaux désorientés. Il y a désormais la place pour un grand parti réformateur regroupant, ou peu s'en faut, toutes les composantes de la gauche. En ce sens, et en dépit du bon score de François Bayrou au premier tour, la présidentielle a précipité la bipolarisation de la France (1) : l'UMP n'a plus de concurrent à droite, le PS n'a plus de concurrent à gauche ; Nicolas Sarkozy est le leader naturel du grand parti majoritaire, Ségolène Royal celui du grand parti minoritaire. Et si, l'an prochain, comme il est probable, le Parti socialiste remporte les élections municipales, on verra bien qu'il est en train de gagner en France une position telle qu'il n'en a jamais occupée dans le passé.

Autrement dit : ses électeurs ont tenu. Ses chefs sont à la ramasse, sa doctrine est en charpie, mais les troupes sont toujours là ! Ségolène Royal est sortie majoritaire chez les jeunes, dans les villes et dans les banlieues. Elle a repris pied dans le monde du travail, qui était en train de déserter la gauche. Ce qui dessine en creux l'électorat de Sarkozy : plus rural, plus âgé, plus bourgeois. Les joggings télévisés n'y changeront rien : la France de l'avenir, c'est celle de Ségolène Royal plus que celle de Nicolas Sarkozy.

Et voici l'autre circonstance favorable dont il va falloir profiter. Les temps sont mûrs pour un aggiornamento intellectuel. S'agit-il de se rapprocher du centre ou de la droite ? Non, il s'agit de se rapprocher du réel. L'avalanche de réponses au débat que nous avons lancé (2) atteste la volonté qui se fait jour un peu partout de mettre les paroles en accord avec les actes, les solutions en accord avec les questions du moment. Où est le problème ? Il est simple à définir et difficile à résoudre. Il s'agit de trouver le compromis social mais aussi intellectuel capable de faire vivre ensemble un parti et, demain, dans une majorité gouvernementale, les quatre gauches qui coexistent actuellement en France : la gauche libérale, celle des bobos ; la gauche jacobine, celle des fonctionnaires ; la gauche sociale-démocrate, celle des salariés du privé ; la gauche libertaire, celle des intellectuels et des exclus.
Ceux qui récusent une telle alliance, au nom de la cohérence ou de la pureté doctrinale, sont des gens qui ne veulent pas de la victoire - ils sont nombreux à l'extrême gauche - ou qui n'acceptent pas la démocratie, c'est-à-dire la règle majoritaire. Que cela plaise ou non, l'exigence majoritaire implique que plusieurs lignes politiques, plusieurs conceptions du monde coexistent au sein d'une même coalition. La synthèse ne peut être trouvée que dans l'action en commun. Elle reposera nécessairement sur une orientation générale qui ne peut être que réformatrice, c'est-à-dire conforme aux voeux de la majorité de la population. Ce disant, j'ai bien conscience d'aligner des évidences ; mais je suis obligé de constater que depuis des lustres c'est pour avoir obstinément refusé ces évidences que la gauche s'est installée dans une culture de la défaite.

 

(1) « La France vers le bipartisme ? », par Gérard Grunberg et Florence Haegel, Les Presses de Sciences Po. Les auteurs insistent sur la « présidentialisation » du PS et de l'UMP.
(2) « Réinventer la gauche », dans le « Nouvel Obs » du 17 mai 2006.

 

Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur

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