Contribution à un socialisme du XXIe siècle - Rénover, c'est vouloir réformer notre système éducatif... - 6

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Conclusion sur ce sujet :
 
« La Révolution était achevée lorsqu’elle éclata : c’est une erreur de croire qu’elle a renversé la monarchie; elle n’a fait qu’en disperser les ruines ». Cette analyse de Chateaubriand dans les Mémoires d’Outre-tombe (1848) pourrait-elle s’appliquer à l’Education Nationale ?
 
Notre système éducatif n’est ni en ruine ni à l’agonie. Il fonctionne mal et est inefficace.
Les enseignants et les élèves souffrent de ce que ses structures trop anciennes sont inadaptées aux missions qui sont les siennes. Le XXIe siècle annonce de nouveaux défis. Ceux qui pensent que l’Education Nationale ne changera jamais ont tort. Le corps enseignant se transforme peu à peu; une nouvelle génération d’enseignants entre en scène. Certains ont une expérience professionnelle préalable en entreprise. D’autres, exerçant en banlieues, travaillent en équipe et sont souvent présents en dehors des heures de service. Les moins de 30 ans représentent encore seulement 13 % de l’ensemble (Education et Formations Numéro 66, juillet-décembre 2003) mais ils ont une approche sensiblement différente du métier, attachant moins d’importance à l’appartenance syndicale, utilisant avec naturel les nouvelles technologies, étant plus proches des élèves et prenant en compte la dimension sociale de la profession. De nombreux enseignants de plus de 45 ans, qui ont connu toutes les réformes, sont fatigués et aspirent aussi à ces changements. Mais la rénovation de notre métier passe surtout par une forte et courageuse volonté politique. Or nous ne verrons pas nos dirigeants s’emparer d’un drapeau pour traverser le pont d’Arcole sous la mitraille. Ils cherchent, pour la plupart, où va la foule pour prendre avec panache la tête du mouvement.
 
Ce sera au Parti Socialiste, en tout cas celles et ceux qui oseront nous rejoindre, de convaincre l’opinion publique.
 
Il faudra :
- bousculer les blocages des syndicats fondamentalistes qui manipulent le milieu enseignant.
- persuader l’ensemble des enseignants que d’autres formes de travail existent et qu’elles permettent, elles aussi, l’épanouissement.
- que les vrais débats ne soient plus ceux n’ayant que les moyens, encore les moyens, toujours les moyens pour sujets, mais ceux développant les thèmes que je viens d’évoquer.
 
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Quelques urgences en matière d’éducation
 
I - Eliminer les fausses solutions pour une révolution des méthodes
II - Les professeurs: recrutement et formation
III - Une déconcentration et une décentralisation rationnalisées et encadrées
IV- Vers une réorganisation des enseignements
V- Enseignants, parents, élèves : civiquement et financièrement responsables
 
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I - Eliminer les fausses solutions pour une révolution des méthodes :
 
Ceux qui ont souligné hier la pesanteur du Mammouth comme ceux qui dénoncent les effets pervers du mythe égalitaire ne font que soumettre l’opinion à des remèdes médiocres :
 
- gérer l’école comme une petite entreprise avec des chefs d’établissement se comportant uniquement comme des DRH.
- fusionner école et collège alors que c’est collège et lycée qu’il faut réunir.
 
L’administration centrale donc :
- doit abandonner son vieux réflexe de fuite en avant en assurant le pilotage de la «machine» par les sempiternels et uniques moyens financiers.
- doit cesser de concentrer l’action et la critique négative sur le seul Collège en y empilant des dispositifs incohérents.
- doit s’émanciper du moule européen qui n’existe pas, chaque état ayant ses méthodes. S’émanciper aussi de l’«exemple» élémentaire, hélas bien essoufflé aujourd’hui.
- doit cesser de transférer ses compétences aux Régions sans les moyens correspondants. (Le transfert de compétences ne peut pas signifier l’abandon de la mission fondamentale de l’Etat: assumer pleinement la mise en place de la politique nationale d’éducation)
 
C’est également à l’Etat de trancher les débats ineptes entre instruction et éducation, travail et animation, pédagogie et sacralisation du savoir. Tout cela pour rappeler l’évidence: il ne s’agit pas de « sauver les Lettres », mais de les TRANSMETTRE en les faisant AIMER; il ne s’agit pas de devenir une annexe de l’ANPE, mais de préparer à l’orientation et à l’envie vers l’emploi. Rendus à leur vocation première et noble, la transmission des savoirs, les professeurs intégreront plus aisément la formation au civisme et l’éducation à la civilité. Civisme et Civilité ne sont pas des compétences; ils s’inscrivent dans une vision du monde et un projet collectif.
 
Transmission des savoirs, compétences, projets collectifs permettront aux collégiens, victimes d’une discrimination positive en forme de ségrégation, aux lycéens des quartiers protégés consommateurs d’école et aux familles de se retrouver sur autre chose que la culture du résultat qui trahit le passé sans répondre aux besoins du présent. Enfin, il serait temps de compter sur l’« équipage » du navire plutôt que sur le seul « capitaine ». C’est aux enseignants, victimes de plus de dix réformes bâclées (et j’exclus les réformettes) en trente ans, d’occuper le pont avant.
 
II - Les professeurs : recrutement et formation :
 
D’abord un mot au sujet des Sciences de l’Education et des IUFM, souvent accusés d’être, pour les premières nommés des « pseudosciences », pour les secondes de ne servir à rien, de déformer plus que former et d’être d’une facilité comparable au baccalauréat avec 99 % de titularisés. Accuser les Sciences de l’Education et les IUFM, c’est oublier un peu facilement de tenir compte des responsabilités des enseignants.
 
Concernant les Sciences de l’Education, aucune (ou presque) des recherches menées dans ce domaine, aucune des prérogatives n’ont jamais été appliquées en France. En revanche, la Finlande, pour ne citer qu’elle, fait grand cas des Sciences de l’Education et des travaux de nos chercheurs. C’est peut-être ce qui explique les résultats de ce pays en matière d’éducation en Europe... Ils sont premiers partout ! Et nous ?
 
(Il ne faut pas confondre non plus les Sciences de l’Education telles qu’elles sont pratiquées par nos chercheurs et telles qu’elles sont enseignées à l’Université. Dans le second cas, c’est hélas une catastrophe !).
 
Concernant les IUFM, ils titularisent en effet 99 % de ceux qui ont été admis aux concours d’entrée. Mais le pourcentage des admis à ce concours d’entrée est très loin des 99 %. Ceci dit, les IUFM doivent être réformés, c’est un fait, voire être supprimés.
 
Cette réforme radicale pourrait s’articuler ainsi :
 
1- L’instauration d’une année préparatoire sélective centrée sur les fondamentaux du domaine choisi par le candidat. Ceci faciliterait le « profilage » des futurs professeurs. Ce repérage précoce aurait en outre pour avantage de ménager une possibilité rapide de réorientation pour les recalés.
 
2- Cette année préparatoire serait adossée à un stage long de six mois minimum, stage encadré par un triple tutorat : un universitaire, un enseignant du second degré et un enseignant du premier degré. Ce stage comporterait obligatoirement une initiation à TOUS les métiers de l’enseignement, primaire ET secondaire.
 
3- Seule la validation immédiate des deux expériences dans des milieux scolaires contrastés, par un jury indépendant comportant au moins un Inspecteur Départemental, un IPR/IA, un enseignant du second degré et un enseignant du premier degré, donnerait accès au concours de recrutement.
 
4- Enfin, la titularisation ne serait acquise définitivement qu’à l’issue de deux années d’exercice dans deux établissements différents. Le candidat serait accompagné par une équipe souple de professeurs recrutés par l’Inspection, en accord avec les chefs d’établissement et déchargés de classe à mi-temps. Les professeurs/tuteurs devront être dotés d’un cahier des charges précis.
 
La formation continue
 
Il appartiendra aux Recteurs, en concertation avec l’Université, les Inspecteurs et les Chefs d’établissement de définir les objectifs et contenus d’une formation continue des enseignants, formation aujourd’hui en déshérence totale. Celle-ci devra comporter une partie OBLIGATOIRE, au minimum tous les cinq ans, intégrée au temps de service. Des formations facultatives resteraient à l’initiative des enseignants. Elles seraient dispensées pendant les vacances scolaires. Les acquis professionnels de toutes les formations obligatoires, évalués en classe et sur dossier, figureraient clairement parmi les critères de promotion.
 
III - Une déconcentration et une décentralisation rationnalisées et encadrées :
 
La droite a transformé la décentralisation en désengagement. Aujourd’hui, si l’Education n’est plus vraiment Nationale, les résultats sont plus que modestes sur le strict plan budgétaire :
- le nombre de fonctionnaires n’a cessé d’augmenter, mais ils ne sont pas là où ils devraient être.
- les réseaux se multiplient.
- les budgets explosent tant au plan national que régional.
- la modernisation annoncée de la gestion des personnels est restée un leurre.
 
Il faudra commencer par clarifier, une fois pour toute, les attributions respectives des responsables du Département et de l’Académie. La répartition actuelle des compétences entre les Recteurs et les Inspecteurs d’Académie (qui ne sont d’ailleurs pas académiques mais gèrent le système à l’échelon du Département) relève de la querelle de territoire : les responsables départementaux de l’Education, chargés des collèges pour l’essentiel, jouent le rôle de vice-recteurs et agissent souvent sans cohérence avec les Recteurs quand ce n’est pas en contradiction avec eux ! Une répartition définitive s’impose : le Recteur doit être plus indépendant et ne pas se contenter d’un rôle d’arbitre face à des collectivités territoriales chargées, elles, de compétences claires mais aussi d’ambitions sans limites...
 
Cette rationalisation de l’administration territoriale assurerait ainsi à chaque assemblée élue un interlocuteur correspondant à son secteur de compétences, garant de ce qui incombe actuellement à l’Etat: la politique éducative ; l’accompagnement des personnels ; les moyens d’enseignement. Avant une régionalisation plus importante...
 
IV- Vers une réorganisation des enseignements :
 
Il faudra, courageusement, réduire le nombre de disciplines enseignées au Collège et au Lycée.
 
Sans cette réduction, la structure du « socle commun » par compétences perpétuera :
- la dissémination ou la redondance des savoirs dans des disciplines concurrentes,
- la lourdeur de l’horaire hebdomadaire imposé aux élèves,
- l’évaluation accumulative de leurs acquis,
 
La réussite et l’acceptation de cette indispensable réforme passent par la redéfinition des matières, non pas dominantes mais indispensables et des disciplines complémentaires qu’il ne s’agit pas d’exclure mais de réorganiser. Il serait nécessaire, en même temps, de confier à une politique de bourses et de fondations le maintien des enseignements optionnels actuellement sous perfusion et menacés de disparition totale. Quant au domaine particulier des arts à l’école, l’enseignement souvent excellent ne pourra être maintenu et renforcé que s’il est reconnu et légitimé par les professions artistiques correspondantes.
 
Enfin, et il faudra là aussi du courage, l’évaluation doit être simplifiée :
- le rétablissement d’un examen de sixième (sous une forme et une appellation à définir) testant honnêtement les capacités de lecture et d’écriture éviterait bien des tragédies scolaires. L’élève de CM2 n’ayant pas atteint les compétences requises devra pouvoir poursuivre sa scolarité en primaire pour une mise à niveau intensive et intégrer la 6ème au cours de la même année, une fois la mise à niveau achevée.
- un Brevet indispensable à toute orientation dans l’enseignement général, technologique et professionnel s’impose.
- le Baccalauréat enfin devra être remplacé par un « contrôle continu des contenus et des compétences ».Une place très importante devra être accordée à l’oral et à la maîtrise des nouvelles technologies de communication.
 
V- Enseignants, parents, élèves : civiquement et financièrement responsables :
 
L’Ecole, au sens large, est aujourd’hui ouverte aux « usagers individualistes ». Ces usagers ne sont pas invités par l’Etat, libéral au sens économique du terme, à peser les conséquences de leurs comportements pour la collectivité. Le poids des familles, des enseignants et des élus sur l’offre de formation le prouve et le gaspillage ne concerne pas que le pouvoir politique :
- ouvertures opportunistes d’options rares (abandonnées d’ailleurs par les élèves en cours d’années) ou de classes préparatoires pour ménager les politiques et les usagers,
- maintien de structures presque vides,
- redoublements inutiles exigés par les parents (quand d'autres, utiles eux, sont refusés...),
- absences des élèves pour des raisons de confort ou de religion,
- vols, pertes et dégradations de matériels pour des motifs divers,
- fraude aux examens.
 
A tous les niveaux, le « droit à l’éducation » excuse des comportements inadmissibles. La tolérance de l’autorité rend la tâche difficile à tous, et pas seulement dans les banlieues qui brûlent.
 
Avant d’imposer aux professeurs une obligation de résultats, il serait temps de partager avec les familles, dans chaque établissement, les choix décisifs qui engagent des personnes et des moyens et qu’elles en soient comptables ! Il convient également de rappeler aux élèves le sens du travail scolaire et fixer un peu plus haut le seuil de tolérance à la paresse :
- il est urgent de décider qu’il ne suffit pas d’être présent au collège ou au lycée pour bénéficier durablement des aides publiques correspondantes.
- il faut imposer un travail personnel, à partir du collège, aux enfants et former les parents à le suivre quotidiennement. C’est le seul gage d’un lien social authentique qui doit passer avant le recours au soutien scolaire, nécessaire mais ponctuel, et aux perfusions associatives onéreuses. (Ce travail personnel peut être effectué sur le lieu de travail et à la maison, mais de préférence au collège; en primaire, le travail ECRIT à la maison doit continuer d’être prohibé).
- le tutorat des élèves de collège par des étudiants et/ou jeunes diplômés de haut niveau, s’il est coordonné par les professeurs, peut être généralisé et adapté à la diversité des situations. Ce tutorat est déjà bien implanté dans des établissements pionniers et il donne d’excellents résultats.
 
C’est à ce prix que les enseignants, dont je suis, retrouveront le sens de la vocation, tels ceux décrits par Péguy :
« C’est un spectacle admirable que donnent tant de professeurs de l’enseignement secondaire, pauvres, petites gens, petits fonctionnaires, exposés à tout, sacrifiant tout, luttant contre tout, résistant à tout pour défendre leurs classes. Luttant contre tous les pouvoirs, les autorités temporelles, les puissances constituées. Contre les familles, ces électeurs, contre l’opinion; contre le proviseur qui suit les familles, qui suivent l’opinion; contre les parents d’élèves, contre le proviseur, le censeur, l’inspecteur d’Académie, le recteur de l’Académie, l’Inspecteur général (...), toute la hiérarchie. Je connais, je pourrais citer moi tout seul, moi tout petit, cent cinquante professeurs de l’enseignement secondaire qui font tout, qui risquent tout, même et surtout l’ennui, le plus grand risque, la petite fin de carrière, pour sauver ce qui peut être sauvé ».
 
Le contexte a changé. La pensée demeure. Beaucoup d’enseignants, taillés sur ce modèle, sont prêts Madame, à vous suivre et à rompre l’immobilisme permanent.

Publié dans Rénovation du PS

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