Socialisme et capitalisme : pistes pour une refondation

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Certains, qui n’ont pas lu les programmes présidentiels et législatifs du Parti Socialiste depuis au moins 25 ans, ne se sont sans doute pas rendu compte que depuis longtemps, les socialistes français ont accepté l’économie de marché. L’économie de marché et non pas la société de marché, comme l’a dit assez justement Lionel Jospin en son temps. Mais aujourd’hui, le capitalisme a muté et nous devons faire évoluer notre logiciel. Je vais essayer modestement d’apporter quelques réflexions à ce sujet. La régulation du capitalisme est nécessaire, ce qui est presque communément admis, mais les socialistes doivent aller plus loin et éviter deux écueils de ce système économique : le « capitalisme total » (J. Peyrelevade) d’un côté, lié à la mondialisation, le « capitalisme des héritiers » (T. Philippon) de l’autre, bien spécifique à la France.

I. Le combat contre l’aveuglement et le caractère autodestructeur du « capitalisme total ».

Le constat est implacable : la financiarisation de l’économie est galopante. Près de 2000 milliards de $ de transactions quotidiennes ont lieu, soit 730 000 milliards $ annuellement, contre seulement 10 000 milliards de $ au début des années 1980. En soi, la libre circulation des capitaux ne semble pas poser problème, dans la mesure où elle permet sans nul doute une meilleure allocation de l’épargne. En réalité, non seulement on peut douter de son utilité et des effets moutonniers, des bulles spéculatives que la globalisation financière a désormais étendus à la planète, mais surtout on est frappé par la profonde inégalité qui la caractérise.

Comme le remarque Jean Peyrelevade, la moitié de cette capitalisation boursière est contrôlée par 10 à 12 millions d’individus, pour la plupart concentrés dans les pays développés. Et au sein de ce petit groupe qui représente 0,02 % de la population mondiale, déjà très fermé, les inégalités atteignent également des sommets. 1% des plus fortunés d’entre eux possèdent 50 % de la richesse totale. Au-delà des inégalités insupportables que cela crée, les conséquences de cette globalisation financière sur l’économie sont triplement néfastes pour l’économie :

- Une gouvernance d’entreprise uniquement orientée vers la rémunération la plus élevée possible du dividende.Cela est profondément contraire à l’esprit du capitalisme d’ailleurs, entraînant un phénomène de rente actionnariale nuisible à l’esprit d’entreprise, à l’innovation. La finance, comme le disait Keynes doit être le « moteur » du capitalisme, pas sa destination ;

- Un sous-investissement massifqui sacrifie la recherche de l’augmentation de la capacité de production (et donc l’objectif du plein-emploi) sur l’autel de la poursuite effrénée d’une meilleure productivité ;

- Une logique court-termiste et incomprise : la plupart des gestionnaires de fonds de pension et autres hedge funds exigent une rentabilité annuelle de l’ordre de 15%. Comment imaginer que les entreprises puissent poursuivre indéfiniment des objectifs si élevés ? Qu’en adviendra-t-il alors de ces entreprises, ballottées entre des gestionnaires lointains, totalement coupés des réalités de l’entreprises dont ils détiennent le capital, au moment où celle-ci traversera une mauvaise passe ? Pas d’inquiétude, le capitalisme a tout prévu : les LBO (Leverage Buy Out) qui pourraient être une bonne chose, si la plupart d’entre-eux ne consistaient pas en un démantèlement pré-organisé de l’entreprise, à un capitalisme de vautours.

En réponse, les solutions doivent être novatrices: tout fatalisme doit être rejeté, même s'il s'agit d'un mouvement largement mondialisé. De fait, alors que la planète entière s’intéresse désormais aux problèmes environnementaux, la plupart des pays ont conscience de la nécessité d’une forte régulation de la part des Etats ou via des organisations internationales. A n’en pas douter, le capitalisme total est responsable de l’absence de durabilité de notre modèle économique. Il me semble donc que le combat pour l’environnement doit s’accompagner d’une action forte et résolue sur la globalisation financière. Plusieurs mesures peuvent être suggérées et faire l’objet d’une discussion avec nos partenaires européens, voire à un niveau plus élevé (OMC). Elles doivent substituer le long terme au court terme, favoriser une répartition plus égalitaire de la masse salariale et soutenir l'investissement :

- Fiscalité plus favorable aux réinvestissements dans l’entreprise(innovation, meilleur respect de l’environnement qui s’accompagne souvent de gains de productivité) aux dépens de la rémunération des actionnaires. Cela était déjà contenu dans le pacte présidentiel de S. Royal. Nous devrions continuer dans cette voie ;

- Rémunération des dirigeants qui serait encadrée de deux façons :
*Dans « un rapport maximum de 1 à 50 » cher à Warren Buffet entre les salaires patronaux et ceux des salariés ;
* Par une limitation forte de l’indexation des rémunérations patronales par rapport aux seules performances financières (et bien sûr la suppression des golden parachutes) ;

- Une taxation des revenus boursiersqui pourrait permettre de financer une partie des systèmes de redistribution des richesses, et pourquoi pas le système de retraites. Ce système, mis en avant par S. Royal et d’emblée raillé, s’il doit être précisé, ne doit pas être écarté. Quand les profits boursiers des sociétés du CAC 40 sont passés de 50 à 100 milliards € entre 1997 et 2007 et que 45 % de cette somme est désormais réservée aux actionnaires (contre 20 % en 1997), il me semble que cette réflexion n’est pas inutile.

Que les choses soient claires, notre objectif ne doit pas être de bloquer le capitalisme, mais au contraire de l’orienter, de le réguler pour lui éviter de se retrancher dans ses mécanismes autodestructeurs. On retrouve ce même objectif dans la lutte contre le capitalisme des héritiers, si bien analysé par Thomas Philippon, l’un des soutiens de Ségolène Royal durant cette campagne.

II. La lutte contre le capitalisme des héritiers ou le socialisme porteur de l’esprit d’entreprise

« Dans sa dynamique propre, le capitalisme français tend à privilégier l’héritage, qu’il soit direct (sous la forme de la transmission successorale) ou sociologique (sous la forme de la reproduction sociale par le diplôme et le statut) » (T. Philippon). La transmission héréditaire empêche le renouvellement des élites managériales. Ces rigidités du système capitaliste, qui prône pourtant la fluidité, une certaine flexibilité, sont l’une des raisons principales du blocage de la société française. De fait, les Français, plus qu’ailleurs, sont des créateurs. Un récent sondage de la SOFRES révélait que 70% des Français estimaient que les parcours les plus enrichissants sont ceux qui consistent à créer son entreprise ou à exercer différents métiers au cours de sa vie.

Selon une vaste enquête réalisée par l’IMD – école de Lausanne, la France est 57e sur 60 pour la qualité des relations sociales dans l’entreprise. Selon une autre enquête du GCR (Global Competitiveness Report), la France arrive même 99ème sur 102 ! Le management des entreprises françaises (privées comme publiques) repose largement sur un modèle mixte entre vieux relents de paternalisme et bureaucratisation sans limites. Ce dernier phénomène est remarqué dès les années 1950 par les experts américains envoyés en France pour le suivi du plan Marshall. Pour eux, le retard de productivité entre la France et les Etats-Unis s’explique principalement par le type de gestion des ressources humaines menées par les chefs d’entreprise. Le capitalisme d’héritiers se transforme donc en reproduction permanente des élites et finalement à la désagrégation de cette caste, incapables d’innover, souhaitant simplement conserver ses positions. Le capitalisme familial peut être utile, dans la mesure où il permet de préserver le capital des entreprises dans un noyau stable, identifiable mais le capitalisme familial se doit de distinguer la gouvernance d’entreprise du management de celle-ci, qui doit lui faire place à la diversité, au renouvellement.

Voilà pourquoi, nous socialistes, avons au final l’obligation de faire ce que la droite ne peut pas faire,trop proche des milieux patronaux, des grandes familles.

Voilà pourquoinous devons nous opposer fermement et fortement à la législation antiéconomique et injuste sur la suppression des droits de succession que propose le gouvernement Sarkozy/Fillon. Cette légitimation de la rente contribuera à renforcer encore ce capitalisme d’héritiers qui mine la société française depuis 50 ans.

Voilà pourquoi, au-delà de la protestation, nous devons proposer plusieurs pistes d’actionsqui sont pour le coup, directement applicables par un gouvernement, tellement ces maux sont assez typiquement français :
- Mettre en place une fiscalité progressive sur les successions. Faciliter la transmission en ligne directe pour les petites entreprises (artisans, commerçants) mais ne pas la faciliter pour les PME et les grandes entreprises. L’enjeu est fondamental : ce sont 700 000 entreprises qui vont changer de mains dans les 20 prochaines années, représentant la création de 300 000 emplois par an ;
- Faciliter la création d’entreprises par le crédit et la coordination des talents : certaines mesures étaient déjà contenues dans le pacte présidentiel mais demandent à être précisées. Nos faibles capacités à l’exportation (déficit commercial record de 30 Mds € en 2006) s’expliquent en grande partie par la taille des entreprises françaises. Trop peu de PME de taille moyenne, trop de peu de mini-groupes (entre 500 et 3 000 salariés). Nous n’allons pas décréter la création d’emplois. Il s’agit en revanche de faciliter la création d’entreprises de taille modeste, des projets individuels, par l’intermédiaire des « bourses-tremplins » qui doivent pallier le manque de prise des risques de la part des banques. Mais pour être efficaces, pour se coaliser, ces entreprises doivent pouvoir se regrouper, soit dans le cadre de « pépinières » qu’il faut créer dans les universités, soit dans le cadre de pôles de compétitivité auxquels il faut donner une vraie cohérence et les fonds pour agir. La politique industrielle de l’Etat, en la matière, n’est définitivement pas morte.
- Rénover le dialogue social : la réforme de la présomption irréfragable de représentativité doit être effectuée, d’autres syndicats doivent émerger et être considérés comme représentatifs. On avait à un moment évoquer l’adhésion obligatoire aux syndicats, je ne pense pas qu’il faille d’emblée écarter cette idée, à condition de rénover a priori les dits syndicats. Cela est la condition essentielle de la responsabilisation des partenaires sociaux et de la mise en œuvre d’une démocratie sociale efficace.

En limitant, par la régulation, les dégâts du capitalisme ultra-financier aveugle, en fluidifiant le fonctionnement des entreprises, de leur management et du dialogue social qui s’y installe, la gauche française et le Parti Socialiste en particulier ont la lourde tâche de montrer que c’est leur projet qui est porteur de la création de richesses, sur le long terme, au service de l’ensemble des composantes d’une économie de marché saine et dynamique. Bien sûr, cela doit passer par certaines ruptures au sein de notre corpus idéologique (« il faut en finir avec l’idéologie punitive des profits », comme dirait Ségolène Royal) mais cela témoigne aussi de l’extraordinaire vitalité de nos idées, de notre façon de voir le monde, d’une justice sociale au service de la performance économique et vice versa.

Face à la droite la plus rétrograde du monde, digne de la fin du XIXe siècle (les droits de succession avaient été supprimés, conduisant déjà à une économie ankylosée), ce sont nos idées qui doivent permettre à la France de gagner la guerre économique du XXIe siècle, tout en n'abdiquant pas sur la bataille sociale !
 
Jonathan Gindt
 
Source : PS Sciences Po

Publié dans Rénovation du PS

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