Guy Môquet n’est pas mort, je l’ai rencontré

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Par Aline Louangvannasy, professeure de philosophie au lycée Rive-Gauche de Toulouse et secrétaire régionale de la CGT Educ’action Midi-Pyrénées.

Aujourd’hui, le président d’une grande démocratie ira dans un lycée lire la lettre d’adieu d’un jeune condamné à mort, Guy Môquet. Cette lettre l’a, selon ses dires, beaucoup ému. Mais Guy Môquet n’est pas mort, je l’ai rencontré.

Il s’appelle Armen. Armen a 7 ans. Le 25 septembre 2007, le cartable sur le dos, il traversait la cour de son école de Montauban. Il était encadré par deux policiers en uniforme et en armes.

Les parents d’Armen sont étrangers. Le mercredi 10 octobre 2007, Armen a été placé en centre de rétention. Dans un premier temps, le juge des libertés avait prononcé sa remise en liberté, car il ne semble pas que dans notre beau pays les enfants aient leur place en prison. Mais le tribunal de Toulouse a fait appel, et le juge des libertés, le bien mal nommé, a donc émis un nouveau jugement : Armen restera en détention.

Aujourd’hui, Armen est au centre de rétention de Cornebarrieu avec ses parents et sa sœur de 8 ans. Armen ne mange plus. Armen ne parle plus. Armen est trop petit pour comprendre. Pour l’anecdote, il faut préciser que les parents d’Armen viennent d’un pays, le Monténégro, qui ne fera rien pour faciliter leur retour, parce qu’ils sont d’origine serbe. La mère, elle, pourrait être envoyée en Albanie avec les enfants, mais comme elle est aussi d’origine serbe, ils ne seront pas les bienvenus. Ils seront donc difficilement expulsables.

Ce sont les victimes innocentes de l’histoire, d’une histoire qui s’écrit au présent, n’en déplaise aux historiens. Tout dépend du bon vouloir de la préfète du Tarn-et-Garonne, qui pourrait les régulariser à titre humanitaire. Pour l’instant, son argument consiste à dire qu’elle a déjà régularisé trois familles et que c’est donc suffisant.

La santé des enfants se dégrade ; de toute façon, ils sont en état de choc et ont besoin d’un soutien psychologique, qu’ils ne trouveront pas en Albanie. Après que les policiers sont venus chercher Armen dans son école pour être conduit au commissariat, il n’a pas revu ses parents. Il a été placé avec sa sœur dans un foyer. Ce n’est qu’une dizaine de jours plus tard, lorsqu’ils ont été placés en centre de rétention, qu’ils ont pu retrouver leurs parents.

Le cas de cette famille est exemplaire du cynisme de notre gouvernement et devrait nous alarmer.

Comment peut-on accepter qu’un instituteur soit obligé sur injonction de sa hiérarchie de remettre à la police un enfant de 7 ans ? Comment des fonctionnaires de police peuvent-ils accepter l’ordre de se rendre dans une école pour interpeller un enfant ? Comment un juge des libertés peut-il se livrer à une telle parodie de justice et bafouer les droits les plus élémentaires de cet enfant ? Tous les vendredis, un petit groupe de manifestants se rassemble devant la préfecture. J’espère que notre président lira Libération lundi et fera un geste. Il faut leur donner de la visibilité à un moment où beaucoup préféreraient ne pas voir.

Je suis en train de lire un texte de Camus, je cite : « Le monde a horreur de ces victimes inlassables. Ce sont elles qui pourrissent tout et c’est bien leur faute si l’humanité n’a pas bonne odeur » (Actuelles II, « Persécutés et persécuteurs »). Nos institutions, dont la fonction est de garantir un ordre social fondé sur la solidarité et le respect de la dignité humaine, sont-elles à ce point devenues vides de sens ? Le traumatisme psychologique que nous faisons subir à cet enfant aujourd’hui est semblable au traumatisme que subissent les enfants des pays en guerre. Mais sommes-nous en guerre ?

Il est inacceptable que l’on instrumentalise à des fins politiques la vie de cet enfant que l’on condamne. Nous devons réagir.

Source : Libération
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