Le PS aime-t-il les gens de gauche ?
par Frédéric Tumpich
Le parti socialiste, qui dirige 20 régions sur 22, gagne régulièrement les élections locales. Il compte un grand nombre d’élus respectés et compétents mais connaît depuis plusieurs années un important problème de direction nationale. C’est à l’occasion de la présidentielle de 2007 que le divorce entre l’appareil et la base du parti est devenu un fossé. Après les échecs électoraux récents, le PS, laissé aux mains de ténors ingérables, court désormais le risque de devenir une coquille vide. Une conception fermée et quasi aristocratique de la vie politique, où les décisions se prennent en cénacle restreint et « entre soi », est à l’origine du divorce entre les gens de gauche et l’appareil du parti.
La présidentielle de 2007 inaugurait un système de primaires ouvertes a priori très prometteur. Pour la première fois, ce n’étaient pas les seuls militants qui étaient appelés à voter mais plus largement les sympathisants de gauche. L’idée sous-jacente revenait à abandonner une conception du parti héritée de l’extrême gauche et de la fin du dix-neuvième siècle : celle d’un parti en avance sur la société, un parti montrant le chemin et dont les militants constituaient une avant-garde. Le PS prenait donc acte de l’élévation générale du niveau d’études mais aussi de la circulation beaucoup plus fluide et variée de l’information qui caractérise notre époque. Les militants cessaient d’être une « élite ». Sans avoir nécessairement collé des affiches, assisté à des réunions ou applaudi des discours, les gens de gauche étaient considérés comme compétents pour choisir.
L’idée est revenue comme un boomerang contre la direction du parti avec le choix, par les votants, d’une candidate atypique. D’abord, Ségolène Royal était portée par les médias qui, jusqu’à présent, n’avaient eu peu ou pas d’influence sur la désignation du candidat. La primaire de 1995 entre M. Emmanuelli et M. Jospin, réalisée à huis-clos, n’avait donné lieu à aucun emballement médiatique. Cette fois, en revanche, les médias intervenaient à plein et le fait que Mme Royal soit une femme constituait pour elle un atout incontestable. Considérant qu’il s’agissait d’une intrusion de la « société du spectacle » dans la cuisine interne du parti socialiste, une partie de l’appareil commençait déjà à se crisper.
Plus grave, c’était le cursus honorum implicite du parti, qui se trouvait mis à mal par le choix des militants. En effet, impossible de contester qu’il existait dans la tête des dirigeants socialistes une règle tacite de succession. Ne pouvait prétendre à la magistrature suprême que des personnalités ayant exercé les plus hautes fonctions, premier ministre, ministre des finances ou ministre d’Etat dans un grand ministère. Bien qu’énarque et choisie par la base, Ségolène Royal n’avait pas de légitimité aux yeux du conseil national. Son image positive dans les médias jusqu’au mois de décembre 2006 était même retenue contre elle.
Aujourd’hui, on entend des leaders socialistes qui ricanent publiquement en rappelant l’épisode des débats participatifs –comme si la prise de parole populaire n'était pas le fondement même de la démocratie. D’autres dont le cheval de bataille est que le président de la République ne soit plus issu du suffrage universel. Comptent-ils sérieusement remporter l’adhésion populaire avec pareils discours ?
Le Congrès de Reims a hélas encore montré le peu de cas que l’appareil faisait du choix des militants. La coalition qui a porté Martine Aubry au poste de Premier secrétaire s’est faite contre la règle logique et jusque-là admise de donner la majorité au premier des courants en voix. Le fait de fonder sa candidature sur le refus d’une alliance nationale avec le MoDem, alors qu’elle a elle-même recours à cette alliance dans sa propre mairie, n'a fait que brouiller les pistes…
L’électeur de gauche a changé. Non seulement il est plus informé et plus diplômé, comme l’ensemble de la société, mais il est aussi moins fidèle. Il ne vote plus systématiquement pour le même bord, pouvant très bien aller voir du côté des Verts ou du MoDem. Son adhésion n’est plus automatique. Il compare les programmes mais aussi les personnalités.
Tout se passe comme si les dirigeants du parti socialiste regrettaient cette mutation de l’électeur. Certes, Voltaire ne voulait pas que son perruquier se mêlât de politique mais même s’il reste une icône universelle digne du plus grand respect, l’hôte de Ferney, vivait plus d’un siècle avant Jules Ferry. Nous, plus d’un siècle après.
Le manque de confiance dans l’intelligence de l’homme de la rue n’est-il pas la marque d’un parti sclérosé qui n’a plus grand-chose de progressiste ? La confiance en l’électeur et son corollaire, le respect absolu du choix des militants, sont la pierre angulaire de toute refondation crédible.
Source : Le Monde