Une commission d'enquête sur les sondages financés par l'Élysée est nécessaire
Par Delphine Batho
Nous proposons, avec le groupe socialiste à l'Assemblée Nationale, la création d'une commission d'enquête parlementaire sur les études et les sondages financés par la Présidence de la République.
Voici notre proposition de résolution ainsi que la question posée au Premier Ministre à ce sujet ce mardi.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Tendant à la création d’une commission d’enquête sur les études commandées et financées par la Présidence de la République.
Présentée par Jean-Marc Ayrault et Delphine Batho, Jérôme Cahuzac, François Brottes, George Pau-Langevin et les membres du groupe SRC.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Le Président de la République a souhaité soumettre les comptes et la gestion des services de la Présidence de la République pour l’exercice 2008 au contrôle de la Cour de Comptes. Cette procédure est nouvelle. Elle s’inscrit dans un contexte de constante augmentation des frais de la présidence de la République au cours des dernières années. Le contrôle de la Cour des Comptes est donc indéniablement un progrès au regard de l'exigence de transparence et de maîtrise des dépenses publiques.
Ainsi, la Cour des Comptes, dans sa lettre remise au Président de la République et rendue publique le 16 juillet 2009, dans le chapitre relatif aux procédures restant à améliorer, aborde «le cas particulier des études». La Cour exprime d’abord plusieurs interrogations quant aux conditions dans lesquelles a été passée et exécutée une convention, sous la forme d'un document d'une seule page, signée le 1er juin 2007 entre la Présidence de la République et un cabinet d’études pour un coût de près d’un million et demi d’euros, montant qu’elle juge « exorbitant au regard des règles de l’exécution de la dépense publique ». La Cour souligne qu’ « aucune des possibilités offertes par le code des marchés publics pour respecter les règles de la mise en concurrence, tout en tenant compte des spécificités de ce type de prestations, n'ont été appliquées ». Elle indique enfin que ce contrat a pris la forme en 2008 de 130 factures correspondant à six types de prestations ainsi qu'à des honoraires mensuels de 10000 euros.
La Cour des Comptes indique ensuite que ce cabinet d’études a facturé à la Présidence de la République la somme de 392 288 euros pour la participation à des enquêtes “omnibus” réalisées de façon bi-mensuelle par l’institut Opinion Way, « dont les résultats sont publiés par Le Figaro et LCI ». Le rapport précise que « la comparaison des résultats publiés dans la presse et de ceux remis à la Présidence ne faisait pas apparaître de différence. On pouvait dès lors d'interroger sur l'utilité de ces dépenses ».
Enfin, la Cour des Comptes révèle qu’au moins quinze autres études payées par la Présidence de la République avaient également fait l’objet de publication dans la presse. Là encore, la Cour indique que « le document remis à la Présidence était identique à celui publié par des organes de presse ».
Le fait que les services de la Présidence de la République assurent que les relations contractuelles avec le cabinet d'études concerné viennent d’être modifiées ne saurait occulter ces faits et les questions qu'ils soulèvent. A fortiori lorsque les réponses de la Présidence de la République à la Cour des Comptes renforcent toutes les interrogations sur les pratiques passées et présentes. En effet, la Présidence annonce la décision prise de faire en sorte que « depuis mars 2009, le périmètre d'intervention de {ce cabinet soit} limité aux seules enquêtes concernant l'image du Président de la République. C'est par le vecteur de l'omnibus en ligne du “Politoscope” que sont réalisées ces enquêtes hebdomadaires, exclusives et confidentielles, que {ce cabinet}, missionné par la Présidence, commande à Opinion Way. Ces enquêtes font l'objet de rapport distincts ».
Il convient de s'interroger sur ces pratiques. Quel était le périmètre des études financées par la Présidence ? Pourquoi l'Elysée engage t-il des sommes aussi importantes pour financer des études qui sont publiées et donc publiques ? Les sommes facturées à l'Elysée par l'intermédiaire de son cabinet conseil (concernant l'enquête « omnibus » d'Opinion Way) correspondent-elles à une prestation effective et distincte de celle que disent financer les médias, clients et partenaires de ce même institut ? A quelles prestations correspondent les 130 factures liées à la convention de 1,5 millions d'euros avec le cabinet d'études ? Quels sont la liste et l'objet détaillé des 15 études facturées en 2008 dont la plupart était également publiées dans certains médias ? Pourquoi, même après la régularisation intervenue en mars 2009, les commandes d'études auprès d'Opinion Way par l'Elysée se font encore par l'intermédiaire du cabinet conseil ?
Après la publication du rapport de la Cour des Comptes, les déclarations du secrétaire général de la Présidence de la République, du Président fondateur d'Opinion Way, des directeurs des études et du vice-président exécutif de cet institut ainsi que du directeur des rédactions du groupe Le Figaro n'ont permis d'éclairer ces questions que de façon partielle, souvent contradictoire et parfois contraire aux constats établis par la Cour des Comptes.
La représentation nationale ne peut être tenue à l’écart d’un sujet et de pratiques qui concernent le bon fonctionnement de la démocratie et le bon usage de l’argent public.
La nature et la gravité des doutes nés des faits établis par la Cour des Comptes dans son rapport impose la création d’une commission d’enquête dont l’objet sera de vérifier que les dépenses de la Présidence de la République en matière d'études d'opinion sont conformes au droit, particulièrement concernant la bonne utilisation de l'argent public, le respect des règles relatives aux marchés publics, et la stricte observation des principes démocratiques. Cette commission devra notamment établir la nature précise des relations entre la Présidence de la République, son cabinet de conseil, le ou les instituts de sondage et les médias concernés afin d’évaluer l'éventuelle influence de ces relations sur le déroulement du débat démocratique.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d’adopter la présente proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les études commandées et financées par la Présidence de la République.
Conformément aux articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres sur les études commandées et financées par la Présidence de la République.